À propos de l’examen des herbes sèches

Un professeur d’art dans un village reculé d’Anatolie turque. Encore une réflexion admirable sur la condition humaine, sur la fragilité de notre existence et le temps implacable qui passe sur fond d’une nature éternelle. L’avis de Mauro Donzelli.

L’ancienne signification de son nom, « lieu où le soleil se lève », c’est-à-dire l’orient, l’explique bien. L’Anatolie, déjà connue dans un sens général comme l’Asie Mineure, constitue la grande majorité du territoire de la Turquie, et dans un village de sa partie la plus extrême et montagneuse se trouve À propos des graminées sèchesle nouveau film d’un réalisateur au style personnel à nul autre pareil dans le cinéma européen contemporain : Nury Bilge Ceylan. Primé à Cannes, il a exploré à plusieurs reprises l’Anatolie, dépeignant une nature glaciale mais magnifique avec une élégance poétique admirable, dans une relation complexe avec ses habitants.

Après avoir dit, ne L’arbre fruitier sauvage, le retour à la maison d’un aspirant enseignant originaire de ces lieux, après des années passées en ville, à À propos des graminées sèchesqui ressemble à l’origine à Les feuilles sèches, se concentre sur l’histoire d’un professeur d’art dans une école isolée dans la partie la plus reculée de la Turquie orientale. L’un des nombreux envoyés en confinement réel pour maintenir les institutions primaires dans ces régions. Quelques années de contrat qui s’imposent dans les premières années de carrière des enseignants – comme dans l’armée ou d’autres métiers à fort impact social – risquent d’étouffer dans l’œuf l’énergie et l’idéalisme juvéniles.

Samet n’est plus si jeune, du moins les quatre années passées isolé dans le givre et la neige l’ont mis à rude épreuve. Il attend depuis le premier jour où il y a mis les pieds d’être muté à Istanbul, la confiance dans son travail et dans un avenir lui-même est au minimum. Nous le rencontrons alors qu’il marche, lourd et enveloppé dans la neige qui fait tout taire, alors qu’il marche entre la maison spartiate qu’il partage avec un collègue et la petite école. Elle a une relation spéciale avec son élève Sevim, mais même cela s’effondre rapidement, alors que sa vie se déroule sur un pilote automatique intimidant. Son regard semble toujours flou, perdu dans un vide qui s’étend à l’horizon d’une réalité dont il veut s’évader. Jusqu’à ce qu’il rencontre Nuray, un jeune militant politique local, terre de violence et d’affrontements entre l’armée et des militants kurdes toujours prêts à exploser, qui subit l’amputation d’une jambe suite à l’explosion d’une bombe.

Ceylan construit comme à son habitude un univers implacablement lié à la maîtrise du temps qui passe. Ici Samet est pressé de commencer à vivre pleinement, alors que son métier le place devant la jeunesse toujours égale de ses petits élèves, alors qu’il sent déjà qu’il perd son temps. La prise de conscience initiale de la valeur sociale de son rôle d’enseignant laisse place à l’intolérance d’un individualisme conscient des opportunités qu’il rate, mois après mois, année après année. Même si la sienne risquerait sans doute de n’être qu’une échappatoire à une incapacité à concilier ses aspérités de caractère avec son entourage. About Dry Grasses a l’extraordinaire capacité des meilleures œuvres du réalisateur turc à synthétiser les débats actuels du géant entre l’Europe et l’Asie à partir d’un minuscule lieu périphérique.

Un regard austère qui ne finit jamais dans l’indifférence ou le jugement, une enquête anthropologique qui n’oublie jamais de s’attarder sur l’émerveillement des paysages et de ses habitants, avec quelques instants dédiés à la passion de la photographie de Ceylan, des études d’ingénieur et la capacité de construire des dialogues féroces et serrés, avec la précision du scientifique, puis de les faire respirer avec des moments de réflexions poétiques qui laissent pantois et remplissent le cœur. Encore une fois prend le temps de décrire le difficultés dans les relations entre êtres humains toujours en attente d’un tournant, dès qu’ils arrivent ou partent vers un ailleurs qui risque de représenter un alibi pour ne pas regarder dedans et autour, pour ne pas s’avouer pion actif dans une mise en scène qui ne peut finalement démarrer que si l’on choisit d’en devenir partie prenante, renouvelant et abandonnant sa zone de confort et donc l’immobilisme. Le changement passe par une confrontation collective, à la recherche de ce mirage qui semble toujours être au-delà de l’horizon.