Aller chez les chiens

Belle adaptation d’un roman méconnu d’Eric Kästner, qui raconte des personnages pris dans une crise sentimentale et morale dans le Berlin pré-nazi. L’avis de Daniela Catelli.

Éric Kästner, Alfred Döblin, Kurt Tucholski: ce ne sont là que trois des auteurs les plus représentatifs parmi les nombreux qui ont vécu et travaillé dans l’Allemagne prénazie, dans la soi-disant République de Weimar, écrivant des romans ou des essais polémiques ou satiriques qui semblent aujourd’hui d’une prophétique troublante. Comme si ces écrivains avaient su, grâce à une sensibilité exaspérée, capter l’air du temps et le restituer dans les pages à travers leurs personnages, même si la « grande histoire » et la catastrophe vers laquelle le monde allait tomber tête baissée rester en arrière-plan. Avec une baguette de sourcier ces artistes ont pu capter les signaux, les mêmes qui malheureusement semblent se manifester même à notre époque. « Fabian – Histoire d’un moraliste ou la descente aux enfers » (c’est ainsi qu’il a été publié en Italie en assemblant le premier titre et le suivant), paru en 1932, juste un an avant la conquête du pouvoir par Adolf Hitler, alors que le Parti national-socialiste était déjà la deuxième force politique du pays. un de ces livres. A travers l’histoire d’un personnage qui vit pour le jour, naviguant à vue dans des temps sombres, il raconte le présent de Éric Kästnerplus célèbre chez nous pour les livres pour enfants comme le beau « Emilio et les détectives ». L’inflation, la montée des individus malfaisants et opportunistes, la condition des anciens combattants et des mutilés, l’impossibilité pour un jeune homme de rêver grand sans argent, ou pour un pair riche mais libéral de cultiver les hauts idéaux philosophiques des pères de la pensée allemande : tout c’est au coeur de Fabian – Aller aux chiensle film qui Dominik Graf tiré du roman, faisant un travail de « traduction » dans lequel rien n’est laissé au hasard, du travail sur les environnements et sur l’image, de l’entrée qui nous emmène de la sortie du métro de Berlin aujourd’hui à celle d’il y a 90 ans à l’étude des personnages qui apparaissent dans l’histoire, chacun avec une physionomie et une identité bien définies.

Les trois heures de durée, que certains ont qualifiées de « trop », sont fonctionnelles au récit du jeune Fabian – accompagné d’une voix off peut-être trop présente au début, mais qui quand il faut s’éclaircir – que tout le monde appelle par son patronyme ( le nom è Jacob), qui travaille le jour, avec peu d’envie et toujours tard, en tant qu’inventeur de slogans pour une compagnie de cigarettes, la nuit il vit la vie des boîtes de nuit, bordels, cabarets avec des personnages extrêmes où presque tout est permis . C’est un garçon de province : il vient de Dresde et est très proche de sa mère et amie Labude, riche fils d’un avocat viveur, qui l’encourage à présenter sa thèse en philosophie. Fabian est renvoyé juste au moment où il rêve d’une vie avec le barman / expert en droit du cinéma et actrice en herbe Cornelia, dont il tombe follement amoureux et qui vit accidentellement dans sa propre pension. Elle est ambitieuse et veut réaliser ses rêves à tout prix, il souffre les peines de l’enfer mais obéit à sa demande de ne pas la gêner.

Après tout, Fabian se laisse vivre et assiste à la ruine de tout ce qu’il a aimé à cause de la violence, de la méchanceté et de la lâcheté de ceux qui savent qu’il restera impuni parce qu’il appartient au « nouvel ordre », même si à un certain moment il a failli semble que la lumière se rallume et que le protagoniste au lieu d’abandonner, poussé par le grand amour qu’il ressent pour Cornelia, qui ne semble pas disposé à l’abandonner, décide de retourner au combat et à la vie active. Mais c’est une illusion, qui se termine de la manière la plus désintéressée et insensée possible dans un monde qui deviendra bientôt indifférent aux morts planifiées de millions d’innocents dans les camps de la mort. Ce sentiment de malheur imminent et de perte d’espoir plane constamment sur les épaules du protagoniste, dont le sacrifice final inutile devient le symbole d’une jeunesse dépassée et emportée par une histoire sans pitié pour les faibles. Il reste après la vision, en plus des belles performances de Tom Schilling (avec le visage droit d’un garçon, presque un Kafkaïen Karl Rossmann) e Saskia Rosendhalle sentiment qu’à travers le passé le réalisateur a voulu nous avertir de notre présent inconscient, où abondent les signes d’un futur sombre.