Anatomie d’un examen d’automne

Entre drame et thriller procédural, Anatomie d’un chute marque le retour en compétition au Festival de Cannes de Justine Triet qui s’appuie sur l’Allemande Sandra Hüller dans le récit d’une mort suspecte au sein d’une famille des Alpes françaises. L’avis de Mauro Donzelli.

Une affaire de couple. Derrière la dynamique du thriller et la structure du drame procédural, les Français Justine Triet fabriqué avec Anatomies d’une goulotte son enquête personnelle sur la vie dans l’intimité d’un noyau familialentre l’amour conjugal d’un couple et l’amour ancestral pour un enfant. L’un des représentants de la nouvelle vague du cinéma français né au tournant des années 80, Triet part dans son histoire d’un événement déclencheur qui bouleverse l’immobilité initiale d’une vie dans les Alpes enneigées, dans un chalet en bois dans les montagnes françaises. Une chute, comme le titre l’indique, qui provoque une longue onde qui fait remonter à la surface malentendus et complexités dans la vie amoureuse de deux écrivains. Le problème est que l’un des deux Samuelest le protagoniste par contumace, dans une absence qui se transforme en un souvenir continu par d’autres, puisque c’est lui qui tombe et meurt d’une blessure à la tête, au début du film.

A la maison il n’y avait que sa compagne, Sandratandis que le fils de 11 ans, Daniel, aveugle après un accident des années plus tôt, n’est pas loin dans les bois enneigés avec son fidèle chien. Peut-être le seul membre de la famille capable de combiner l’amour avec une fonction utile constante pour sa vie quotidienne. Un chien-guide, le film montrera plus tard, capable d’être un chien-guide également pour l’enquête, puis le procès, qui orientera bientôt les soupçons précisément vers Sandra, car elle est la seule coupable possible. En supposant que ce soit une chute avec aide, un homicide, puisque les analyses scientifiques – une fois la chute accidentelle exclue – semblent aboutir à une conclusion qui sonne comme un doute : suicide ou poussée après un coup violent avec un objet mortel ?

Pour une fois, Justine Triet il abandonne l’ironie et le désenchantement de ses premières œuvres pour affronter les relations personnelles entre deux créateurs d’histoires avec une gravité solennelle. Elle a déjà à son actif divers romans à succès, alors qu’il s’est surtout consacré à l’enseignement et aimerait enfin trouver sa place – après avoir beaucoup donné à sa compagne – et écrire son propre livre. Enfin. Pour ce faire, il la convainc de quitter Londres, où ils se sont rencontrés et sont tombés amoureux, pour retourner dans le village de montagne dont elle est originaire. Si la création artistique d’un réalisateur et d’une comédienne, aux prises avec l’observation de plus en plus complice d’un psychothérapeute, était au centre de l’enquête presque policière de Sybilleprécédent mais boiteux film de Triet présenté en compétition à Cannes, dans Anatomies d’une goulotte c’est l’écrivain – autre métier suspendu entre création et reproposition du réel, entre invention et manipulation – qui intrigue.

Non seulement cela, nous nous retrouvons toujours avec un protagoniste extraterrestre qui apparaît dans un contexte qui n’est pas le sien. Soi Virginie Efira c’était une psychothérapeute passionnée d’écriture qui est sur un plateau de tournage, la voici Sandra Huler jouer une Allemande en France. L’utilisation d’une lingua franca comme l’anglais est pour le fils un agent gênant dans sa vie quotidienne constamment francophone, alors qu’elle représente la confirmation du statut de Sandra en tant qu’apatride en exil, réticente à s’appuyer sur le français. L’un des éléments de gêne et d’inconfort qui ressortent lors de la dissection autopsique au sein du couple est représenté par le processus.

Triet construit un film aseptique mais fascinant, où l’intime devient soudain public au cours du processus, sans même le mince voile de transparence que représente la fiction littéraire d’un récit personnel et autobiographique. Un péché Victoria, une femme libre est mise en scène et mise en lumière, et à ce titre susceptible de provoquer un déséquilibre dans les rapports juridiques « normaux » de l’opinion publique qui assiste à un procès. Ça n’a pas à être gentil, Sandra, et ça ne l’est pas, montrant en filigrane la fragilité et les peurs, mais aussi la fierté et la justification d’une vie poursuivant la satisfaction personnelle et professionnelle, sinon le bonheur. Sans que le renoncement pour l’autre moitié du couple ne se transforme en regret quand il est trop tard.