Critique de mon voisin Adolf

Les yeux d’Udo Kier sont au centre d’un drame aux lueurs comiques suspendues entre la mémoire et un présent dans un autre monde. Hitler était-il encore en vie en Argentine dans les années 1960 ? L’avis de Mauro Donzelli sur Mon voisin Adolf, vu à Locarno 2022.

Une histoire de frontière, celle de Mon voisin Adolf. La frontière entre deux mémoires, la frontière entre un passé douloureux et un présent qui ne peut que se réconcilier avec elle, avec l’utopie désespérée de la dépasser. Mais aussi le frontière entre la comédie et le drame le plus sombre tout au long du XXe siècle. Un objet mystérieux comme les yeux de Udo Kiergrand « monument » d’un cinéma tout aussi limite : entre les genres et ses deux patries, la vieille Europe et Hollywood.

Une clôture en bois marquée par le temps. Une frontière qui sépare deux maisons de campagne décadentes dans la campagne colombienne des années 1960, mais aussi deux univers opposés : celui des victimes et celui des bourreaux. D’un côté un juif polonais âgé, hargneux et solitaire, survivant de la Shoah contrairement à sa famille, de l’autre un Allemand fraîchement déménagé, qui selon le premier n’est autre qu’Hitler lui-même.. Il le reconnaît aux yeux, au regard glacial qu’il avait rencontré des décennies plus tôt à Berlin. Nous sommes à l’époque où le Mossad kidnappait Eichmann en Argentine pour le juger en Israël.

Une enquête menée avec toute l’énergie nécessaire pour prouver sa théorie loufoque par des preuves objectives devient à partir de ce moment le seul but quotidien de sa vie. Évidemment, personne ne le croit, pas même au consulat israélien. Essayez d’interagir avec le nouveau venu pour confirmer ses soupçons, mais comment approcher le mal absolu ? Les échanges initiaux tendus se transforment en un amour partagé des échecs. Les deux semblent s’être aventurés au bord d’une amitié, qui pour le protagoniste risque de devenir un abîme moral, aussi large que d’identifier l’humanité dans son pire ennemi, que ce soit Hitler ou le peuple allemand.

Celui mis en scène par l’Israélien Léon Prudovsky c’est un univers suspendu pour tenter de surmonter la blessure incurable par excellence du XXe siècle : l’Holocauste. Un univers dans lequel le passé lointain, la mémoire de qui était là et maintenant est parti, est le seul élément vital qui permet au protagoniste d’affronter le présent, peut-être grâce à des conseils de famille comme émietter les coquilles d’œufs pour faire le noir rare les roses s’épanouissent avec un maximum de splendeur. Les outils utilisés Mon voisin Adolf sont les nobles de la tradition yiddish : douleur et ridicule, absurde et grotesque, avec des lueurs d’une douceur inhabituelle, comme une conversation nocturne entre deux amis/ennemis prochesoù le partage passe par la saveur proustienne d’un concombre mariné, capable de rappeler une proximité culturelle et quotidienne.

Un équilibre délicat maintenu aussi grâce à la maîtrise de deux interprètes en état de grâce comme Udo Kier et l’Ecossais David Haymanqui revient jouer un Juif passé par les camps d’extermination après Le garçon au pyjama rayé. Une frontière maintenue inviolée, dans laquelle il est difficile de donner des réponses autrement que de donner des conseils regardez par-dessus cette clôture, regardez-vous dans les yeux avec sincérité, en élaborant et non en surmontant ou en balayant le passé sans en transmettre les responsabilités.