Critique du retour de Casanova

Agité et sournois comme toujours, le réalisateur milanais déplace à nouveau en changeant de genre pour la énième fois, et cette fois en se confrontant à l’éternelle rivalité entre la vie et l’art, et plus encore à la vieillesse et au temps qui passe. La critique de Federico Gironi du film Le retour de Casanova.

À l’intérieur du Retour de Casanova, il y a beaucoup de choses. Il y a un aspirateur robot qui je pensais s’était inspiré du rouge Maximilien De Le trou noir. Il y a Tony Servillo dans le rôle d’un réalisateur en crise professionnelle et existentielle qui repousse les assauts des journalistes avec un repoussoir. Il y a un film dans le film qui dans les lumières et les costumes semble se souvenir Barry Lyndon. Il y a Sara Serraiocco qui joue la paysanne et la muse, avec des cheveux courts qui ressemblent à la Natalie Portman De Hôtel Chevalier. Il y a Natalino Balasso qui fait le monteur e Antoine Catane le producteur, comme dans Boris. Il y a Fabrice Bentivoglioalias Casanova, qui est défié en duel, mais nu. Une guitare électrique avec style Télédiffuseurs, mais Eko et non Fender. Une couverture de « Persil, sauge, romarin et thym » par Simon & Garfunkel. Il y a beaucoup de cigarettes, beaucoup de verres de vin, des moments presque métaphysiques. Il y a le Festival du film de Venise, évoqué, fréquenté, peut-être espéré. Il y a le cinéma, la vie, la vieillesse.

Dans une Le retour de Casanova il y a beaucoup de choses, peut-être même trop, peut-être – en effet, sans peut-être – pas toutes justes, pas toutes capables de fonctionner comme on l’aurait voulu une fois mises les unes à côté des autres, alternées, rêvées. Mais l’imperfection, l’erreur, en ces temps homogénéisés, peuvent parfois aussi plaire, et être synonymes de quelques recherches, fût-elles utopiques ; et puis Gabriele Salvatores est également là-dedans, dans toute sa nature aux multiples facettes. Il y a sa recherche : son envie de changer de vêtements, sa réflexion générationnelle, l’humour mêlé de mélancolie, l’envie de faire un cinéma avec des ambitions mais qui soit aussi capable d’être modeste, de quelle manière. Bénin. Doux. Un peu comme Salvatores lui-même se présente à la presse, avec cet air bouddhique un peu milanais qu’on ne sait jamais où finit le personnage et où commence la personne. Ou vice versa.

Il y a une scène, dans Le retour de Casanovaqui montre la première rencontre entre Léo Bernardi (le réalisateur interprété par Servilloque partiellement alter ego de Salvatores, pourrait-on dire) et Silvia de Serraioccoqui avec son nom léopard et la vivacité de ceux qui travaillent la terre pour gagner leur vie, il est immédiatement clair qu’il pourra voler son cœur.
Silvia comprend immédiatement que ce à quoi elle est confrontée, enveloppée dans une cape noire au milieu d’un champ, un livre à la main, est le réalisateur du film qui aurait été tourné dans ces parages. Alors il lui demande de quoi il parle, ce film à lui. Léo, incertain, hésite. Puis il répond : « du passage du temps », ou quelque chose comme ça.
Et de fait, le film que Leo va tourner, et qu’il ne pourra pas monter sans l’aide de Balasso, est justement l’adaptation du roman de Arthur Schitzler qui s’intitule « Le retour de Casanova », dans lequel le grand séducteur vénitien doit faire face à la vieillesse, à la déchéance de la chair, à la perte de sa superpuissance.

Leo aussi doit composer avec la vieillesse, avec le déclin de son étoile, avec la concurrence des jeunes débutants amenés dans le creux de sa main par la critique, avec la déchéance de son corps, l’obscurcissement de son esprit.
Surtout, il doit faire face au carrefour auquel il s’est retrouvé après avoir rencontré Silvia, et tomber amoureux d’elle plus qu’il ne voulait le faire : ce carrefour qui est un peu simpliste appelé celui entre le cinéma d’une part et Vita d’autre part, mais qui en tout cas, essentiellement, lui demande de choisir s’il veut s’accrocher à ses obsessions, se prélasser dans la décadence auto-satisfaite, à la sécurité du passé ou si, au contraire, il veut faire le saut fou et dangereux vers la possibilité d’une nouvelle vie, et une nouvelle vie.

Quelqu’un dira qu’il y a de la sénilité, dans Le retour de Casanova. Moi, par contre, j’ai vu à l’intérieur une grande volonté de vivre, même quand – surtout quand – il faut composer avec la vieillesse et le déclin. La vieillesse et le déclin racontés avec une sincérité nue, simple, troublante. Parfois presque un peu émouvant, en tout cas je dirais surprenant.
Surprenant, comme l’envie de Salvatores sans se soucier des nombreuses hystéries contemporaines qui, partant de positions justes et indiscutables, transforment le monde dans lequel nous vivons en un labyrinthe d’interdits, d’impositions et d’hypocrisies.

Il est évident, même trop, que la contribution de Umberto Contarello (avec Salvatores scénariste du film avec Sara Mosetti, ou le co-responsable du seul film vraiment impardonnable du Milanais, Tutto mon amour fou) signifiait que dans le corps du Le retour de Casanova il y a eu une forte transfusion de sorrentismes (ou peut-être juste de contallismes), et que pas toujours l’organisme du cinéma de Salvatores il a pu absorber ces corps au moins partiellement étrangers sans rejets ni rejets.
Mais il est également évident que le dynamisme du scénariste padouan semble avoir contribué de manière assez décisive à la réalisation d’un film qui embrasse sans hésitation la le libertinage non pas tant comme pratique débauchée et séductrice, mais compris comme libération des cages de la pensée, des règles, comme désir de s’émanciper d’abord de soi (pour mieux s’accepter), et de profiter des bonnes choses de la vie. Ces belles choses qui peuvent changer aussi, au fil du temps et des années.
Et que la jeunesse – ici poliment enviée sur le plan du corps, mais aussi cordialement réduite sur le plan de l’esprit, alors que tout autour il n’y a qu’à glorifier les jeunes générations et leurs nouvelles lumières, pas toujours avec raison – fassent ce qu’elles ont faire, comme il est destiné à être.