Examen de la mémoire

Deux âmes blessées se rencontrent dans le New York d’aujourd’hui, se suivent et réparent des pages importantes de leur passé. Michel Franco revient en compétition à Venise avec Memory, avec Jessica Chastain et Peter Sarsgaard. La critique de Mauro Donzelli.

La première rencontre n’est pas la meilleure. Il sera cependant temps de s’améliorer. Un homme et une femme à New York. Cela pourrait être le début d’une des nombreuses comédies romantiques qui ont ennobli la ville, étant donné qu’elle s’ouvre sur une promenade dans Central Park. Au lieu de cela, c’est un film à l’extérieur pour le Mexicain Michel Francoparfois implacable avec ses personnages et au risque de manipulation en les faisant bouger comme des pions à choquer. La première chose qui frappe dans Memory, une histoire d’amour entre deux êtres que les Américains définissent comme abîmés, et qu’on pourrait traduire par abîmé par la vie, c’est justement le grand amour qui transparaît pour eux de la part de ceux qui nous en parlent..

Mais revenons au début pas si bon, celui d’une rencontre entre amis d’école qui se retrouvent après de nombreuses années. Sylvie (Jessica Chastain) travaille comme assistante sociale dans un établissement de santé mentale. Elle a un passé d’alcoolique, s’est remise sur pied, n’a pas bu depuis de nombreuses années et la routine quotidienne structurée l’aide, ainsi que sa fille adolescente. De retour de rencontre avec ses anciens compagnons, elle découvre qu’un homme la suit. Il s’appelle Saül (Peter Sarsgaard) et ne descend pas chez lui. Elle le prend pour un partenaire qui l’a fait boire puis l’a maltraitée des années plus tôt. Une erreur dont il se rendra vite compte, et la relation apaisera les tensions, et renversera leur perspective. deux âmes à fleur de peau, toujours prêtes à retomber dans un vieux vice, Sylvia, ou à aggraver sa démence précoce, à un peu plus de 50 ans, dans le cas du barbu et rusé Saul.

Ce sont deux personnes sous la surveillance de leurs familles respectives, qui ne semblent pas tout à fait irréprochables en pensant exclusivement au bien des deux, du moins des adultes, tandis que l’étincelle de leur rencontre libère une sorte de porte temporelle qui les réveille de leur torpeur auto-induite et leur donne la force de rouvrir un gouffre lié au passé.. Entre les brownstones de Brooklyn et les feuilles dans la rue d’un automne imminent, l’histoire se déroule sans sentimentalité avec un réalisme rigoureux. Les acteurs se dépouillent de maquillage et de fioritures pour rendre leur solitude moins glamour. C’est la douleur refoulée qui fait surface qui frappe, si perturbatrice qu’elle n’a pas besoin d’effets spéciaux.. Assez deux acteurs dans leurs plumeaux et d’harmonie comme Sarsgaard et Chastain, maladroits et tendres, qui mettent en scène l’une des scènes de sexe les plus improbables et pourtant touchantes vues ces derniers temps.

Ce sont deux adultes considérés comme des adolescents en probation, capables de gestes de liberté téméraires et d’alimenter la dimension ludique, capables d’accompagner leur présent d’une dose de volonté inconsciente face au passé. Dans son cas, c’est clair, mais fragmenté pour ne pas faire exploser la famille, dans son cas, la fragmentation est plus récente et destinée à s’aggraver. Comment ne pas se laisser conquérir par un amour aussi inattendu et singulier, dont le romantisme ultime et le gage d’amour sont de devenir l’interlocuteur d’urgence de l’autre.