Examen de la ville d’astéroïdes

Beau à regarder, Asteroid City confirme pourtant non seulement (et pas tant) les craintes de maniérisme de La Dépêche française, mais la dérive d’un réalisateur qui n’est plus capable, ou plus disposé, à donner de la vie, du sang et des sentiments. aux personnages qu’il raconte. La critique d’Asteroid City par Federico Gironi.

POUR Wes Anderson, je, je ne peux pas m’empêcher d’aimer. j’ai revu récemment La Vie Aquatique avec Steve Zissouqui reste pour moi son meilleur film, et je me suis rappelé pourquoi j’aimais tant son cinéma.
Pourtant, quelque chose s’est passé ces dernières années. j’ai changé, il a changéet en somme, il me semble que, exagérant, ma relation avec lui et avec son cinéma est celle de certains couples de longue date où l’un des deux, ou les deux, après être tombé profondément amoureux, se réveille un jour en se demandant qui c’est cette personne avec qui il vient de partager un lit, un petit-déjeuner ou un dîner.
Le dernier grand film d’Anderson (l’un de ses meilleurs) était Hôtel Grand Budapest. L’île aux chiens c’était quand même intéressant à sa manière : dans le stop motion et surtout en commençant à utiliser une troisième dimension de l’espace qui compliquait et rendait plus fascinante la traditionnelle tendance bidimensionnelle de l’image. La dépêche française Au lieu de cela, cela m’a semblé le film dans lequel le formalisme indubitable d’Anderson s’était transformé en une manière ennuyeuse: celui devant lequel, en bref, je me suis demandé qui était ce type, me servant cette collection écoeurante de bonbons pour le petit déjeuner.
J’aimerais pouvoir dire que j’ai enfin reconnu l’Anderson de notre premier amour à Asteroid City, mais ce n’est pas le cas. Pas entièrement, pas de manière satisfaisante, du moins.

Comparé à La dépêche françaisecependant, voici le pas en avant, et c’est visible. Au sens où, en se limitant à une analyse de la forme, de la surface et de l’image, il faut dire que Anderson a trouvé un meilleur ajustementce temps.
Dans des scénarios explicitement caricaturaux, de Willy le Coyote et Bip Bip (le roadrunner existe vraiment !), et dans l’esthétique et dans le décor des années 50 qui dominent Ville d’astéroïdes, anderson il a trouvé un terrain non seulement fertile à sa créativité, mais aussi fonctionnel à cet imaginaire, et paradoxalement capable de faire barrage, peut-être partiel, à certaines crues maniéristes. A cela s’ajoute un deuxième niveau du film – à la fois esthétique et narratif – dans lequel Anderson, avec l’usage du noir et blanc, parvient aussi à tempérer certains excès.
Cependant, malgré tout cela, et malgré quelques petites inventions qui sont directement filles de l’expérience d’Anderson dans l’animation en stop motion, et qui individuellement sont souvent drôles (parfois même délicieuxterme volontairement ambigu ici), l’impression est qu’une fois de plus ce réalisateur choyé non seulement par le monde du cinéma, mais aussi par celui de l’art et de la mode, n’a pas réussi à remplir ses plans incomparables et peut-être fascinants avec une histoire et des personnages capables de donner, sinon une profondeur, une substance, un sentiment, une émotion.
Et cela, à ce qui me fait encore pleurer comme un bébé avec le requin jaguar et Staralfur, n’est pas quelque chose que je peux facilement pardonner.

En revanche, Anderson est explicite ici, dès l’ouverture de son film : l’opération est tout à fait frontale.
Le film s’ouvre sur un narrateur (Bryan Cranston) qui raconte – avec des mots mais aussi avec des images, en noir et blanc – la genèse d’une pièce écrite par un célèbre dramaturge (Edouard Norton), qui sera ensuite mis en scène par un réalisateur (Adrien Brody) et deviendra le film que l’on voit, celui en couleur et avec des protagonistes Jason Schwartzmann, Scarlett Johansson, Tom Hanks, Maya Hawke et tous les autres, l’histoire d’un groupe de personnages réunis dans une ville reculée, si on peut la définir ainsi, pour un prix à décerner à de très jeunes passionnés de science et d’espace. Il est donc explicite de dire que ce Asteroid City est un film sur les mécanismes de créationpresque une empreinte bleue de celles que Will le Coyote a extraites des coffres de l’ACME pour construire les pièges avec lesquels il voulait capturer le Bip Bip.
Cependant, l’alternance et l’imbrication des deux niveaux du récit ne semblent pas capables de donner les résultats peut-être espérés., et les problèmes et les tourments auxquels on peut faire référence avec des mots, dans un monde comme dans l’autre, restent froidement intellectuels, ils ne sont jamais tangibles, ils ne touchent jamais les émotions du spectateur. Ni le deuil du personnage de Schwarzmanphotographe de guerre avec quatre enfants qui vient de perdre sa femme, ni son amour pour une autre tourmentée, l’actrice à la Monroe joué par Johansson, pour n’en nommer que quelques-uns. Pas même les amours de jeunesse qu’Anderson avait si bien racontées dans Royaume du lever de la luneici ils ont de la chair et du sang, la chaleur de quelque chose de vivant, et pas seulement dessiné.
Sans oublier les crises créatives du personnage de Norton, résolues par un chœur de personnages scandant « Il n’y a pas de réveil sans sommeil » : la plus banale des réflexions sur la créativité.

Il reste vaguement sur la langue et en bouche, le goût tendre et nostalgique de cette époque pleine d’espoir et d’ingéniosité que furent les « jours heureux » des années 50pour ce regard dans l’espace espérant (ou craignant) l’apparition d’un symbole OVNI de qui sait quels dangers ou possibilités (et qui ici peut être bon juste pour certains figurines assurément réussi). Une nostalgie dont Anderson se soucie évidemment, mais qui n’explose jamais vraiment.
Et tout ce que j’ai à dire à Wes Anderson, alors, c’est la phrase la plus ringarde et la plus ambiguë : « Ce n’est pas toi, Wes, c’est moi. »