Examen de l’observateur

Premier film de la réalisatrice Clohe Okuno, Watcher est l’histoire d’une femme en qui personne ne croit et d’un hypothétique bourreau qui devient victime. Le tout dans un Bucarest inhospitalier, froid et sombre.

En anglais, il y a un verbe, allumer du gazdu nom d’un film de Georges Cukor avec Charles Boyer Et Ingrid Bergmann. Titré Angoisse dans la version italienne, Lampe à gaz il racontait l’histoire d’une femme qui était sûre d’avoir entendu des pas dans le grenier et de voir les lumières de la maison s’éteindre, et d’un mari qui ne la croyait pas, la pensait mentalement dérangée et l’a convaincue de ne plus quitter la maison. C’était en 1944, et à partir de ce moment – mais c’était déjà arrivé avant – les scénaristes avaient pris l’habitude d’inventer des personnages féminins dont la vision de la réalité, souvent véridique, était remise en question au point d’être prise pour de la folie.

Maintenant, dans le thriller psychologique Observateur il n’y a pas de soi-disant briquet à gazc’est-à-dire un bourreau qui manipule psychologiquement une personne fragile et vulnérable, mais il y a le éclairé au gazen l’occurrence une actrice américaine appelée Julia qui déménage à Bucarest pour être à côté de son mari qui a trouvé un nouveau travail. Julia elle devient vite convaincue qu’un homme qui l’épie depuis la fenêtre de l’immeuble d’en face s’est mis à la traquer pour la tuer, et ce parce que, selon elle, il s’agit du tueur en série du quartier, tristement connu sous le nom de L’araignée.

Si nous avons fait cette longue introduction c’est pour dire que les débuts de réalisateur de Clohé Okuno dépasse le sous-genre de l’appartenance et complique beaucoup les choses, naturellement dans un sens positif, tout en jouant avec une série de références cinématographiques. Observateur renvoie en fait à La fenêtre sur cour de Alfred Hitchcock c’est à Le bébé de Rosemary de Roman Polanskyet il ne le fait pas pour rendre hommage aux grands maîtres du frisson, mais pour donner quelques indices à ceux qui cherchent la solution de l’énigme, autrement dit à nous qui ne connaissons plus le personnage de Maïka Monroequi contrairement au Paula Alquiste de Angoisse il ne remet presque jamais en question ses propres idées.

Pas par hasard Julia c’est une femme contemporaine, et en tant que telle, elle a tendance à faire confiance à son intelligence émotionnelle. En revanche, ce qui est resté quasiment inchangé par rapport à il y a 80 ans, semble nous dire le réalisateur, c’est le chauvinisme des sociétés du Nord-Est comme de l’Ouest, car Francisqui est le mari de Julia, lui aussi commence à la considérer, sinon comme une mythomane, en tout cas comme victime d’un fort stress. Face à une telle attitude, on se demande alors qui est le vrai méchant du film : si L’araignée ou qui est prêt à dévaloriser la femme qu’il aime au nom d’un sentiment de supériorité qui vient de loin. Les deux sont méprisables, mais le Okuno semble opter pour Francisqui invite son patron à dîner et ne prend pas la peine de traduire leurs conversations en Juliaqui Julia devient ainsi l’incarnation de la solitude féminine la plus triste, celle à laquelle il n’y a pas de remède. Et qu’est-ce qui se passerait si Francis et ses nouveaux collègues sont comme des extraterrestres L’invasion des voleurs de corpsqui prennent la place des humains en prenant leur apparence exacte, aliénant est le Bucarest qui Observateur elle nous restitue, avec ses immeubles écaillés, ses rues grises et pluvieuses, son atmosphère lugubre. Le réalisateur prend soin de le rendre inhospitalier et étrange, ainsi qu’étranger, ou peut-être vaudrait-il mieux dire bizarre, car dès le début il y a quelque chose de mal et de dérangeant à la fois dans la ville et dans le bâtiment qui abrite l’appartement. Julia Et Francis: la maison est trop rangée, les plafonds trop hauts, les pièces trop vides, les coups du voisin à la porte trop forts. Même les silences sont assourdissants et, enfin mais pas des moindresle maniaque homicide présumé ressemble trop au Bates normand de Psycho être, ou peut-être ne pas être, le tueur en série qui blesse mortellement ou décapite des femmes sans défense.

Revenons au genre. Observateur il le dépasse aussi dans un autre sens, un sens qui a à voir avec le verbe du titre : regarder, ce qui signifie observer. Dans un monde comme le nôtre, où tout le monde épie tout le monde, les regards se multiplient et l’observateur (l’homme à la devanture) devient l’observé. Julia et l’hypothétique coupe-gorge change continuellement de rôle, dans un jeu d’évasions, de poursuites, de rencontres informelles et de visites formelles qui devient de plus en plus rapide. C’est l’élément vraiment efficace du film, et aussi ce qui le rend tendu et donc plein de divertissement. A cela s’ajoutent, malgré un budget plutôt modeste, la mise en scène épurée, le grand soin formel, le souci du détail.

Profondément immergé dans la réalité et doté de cette valeur sociale qui caractérise souvent l’horreur ou le mystère, Observateur devient à un certain moment un conte quasi mythologique au nom de son héroïne, qui l’est non seulement parce qu’elle sacrifie ses ambitions professionnelles pour suivre son mari dans une ville inhospitalière, mais surtout parce qu’elle est prête à tout pour prouver qu’elle n’est pas un visionnaire. Si son estime de soi n’était pas si basse, peut-être ne mettrait-il pas sa propre sécurité en jeu, mais nous sommes toujours en présence d’un film, qui ne peut pas être défini comme tel s’il y a au moins un conflit.