Examen des feuilles mortes

Ce petit, simple et grand film du réalisateur finlandais arrive bientôt en Italie avec Lucky Red. Toujours plus essentiel, toujours plus minimaliste, toujours plus cinéma et sentiment. La critique de Fallen Leaves de Federico Gironi.

Il y a un Lui et une Elle, peu importe leurs noms : pendant longtemps ils s’ignorent même. Il importe qu’ils soient deux perdants, deux prolétaires. Il est ouvrier, dort dans une cabane, boit trop. Elle travaille dans un supermarché, mais ils la virent parce qu’elle a ramené chez elle un sandwich périmé destiné à la poubelle.
Lui aussi finira sans travail, à cause de l’alcool. D’une manière ou d’une autre, ils continueront. Surtout, d’une manière ou d’une autre ils se rencontreront, ils continueront à se rencontrer grâce au destin, et à cause du destin ils seront destinés à se perdre, se retrouver, se perdre à nouveau.
Lui et elle évoluent en silence, avec effort mais détermination, dans l’univers d’Aki Kaurismäki, toujours plus minimal, toujours plus essentiel, toujours plus chargé d’émotion.

« Une douce tragi-comédie », disait-on de ce film.
Une gentillesse qui est très, très proche de la poésie. La poésie du quotidien.

Une tragi-comédie qui vous mène inexorablement à la racine de ce couple improbable, si malheureux et si digne, si éprouvé par la vie mais si imperturbable dans sa résignation silencieuse à supporter chaque coup qui lui est infligé.
Une acclamation qui vous tient en haleine, qui vous fait trembler dans le fauteuil à la énième dérision de l’affaire, comme si vous étiez là pour crier « Tourne-toi » à Julie Christie à la fin du Docteur Jivago.

Feuilles mortes c’est un film où lui et elle vont voir Les morts ne meurent pas De Jim Jarmusch et un autre spectateur, sortant du cinéma dit « Il m’a rappelé Journal d’un curé de campagne De Bresson”. « Tome Jusqu’au dernier souffle De Godard», répond un ami.
Parce que Fallen Leaves est aussi une comédie.
ET Feuilles mortes est un film dans lequel vous adoptez un chien. Il l’appelle Chaplin.
Les noms de ces quatre réalisateurs n’y ont pas été placés par hasard (et d’autres ont pu être cités grâce à des affiches astucieusement placées). Soi Kaurismäki là il a mis dans son film c’est pourquoi dans votre film, peut-être par moments, peut-être dans certaines nuances, il y a aussi, en partie, leur cinéma. L’essence, l’arôme de leur cinéma.

Alors bien sûr, il y a Kaurismäki.
Incontournable dans le style, dans les visages, dans les atmosphères qu’il est capable de créer. Incontournable dans l’histoire d’une humanité marginale et peut-être sordide, qui pourtant sort radieuse de la misère du monde grâce à sa si pleine humanité. De gentillesse, de respect, d’amour. Avec une sobriété qui n’est certes pas alcoolisée (même si quelque chose change ici), mais qui est de tons, de mots, de sentiments.
Les feuilles tombent, mais cet espoir ne meurt pas. Avance difficilement, peut-être, mais ne meurt pas.
Même si la radio parle en permanence du drame de la guerre, même si le capitalisme est de plus en plus impitoyable, même si le hasard fait des ravages et que les vices et les peurs que nous portons avec nous risquent de tout gâcher. Avec un peu de gentillesse, avec un peu d’amour, l’espoir ne meurt pas.
Et au final, au bout de 80 minutes de spécimens faits de simplicité, de cinéma et de beauté, il y a aussi quelques larmes à essuyer.