Examen des mouches noires

Ambitions scorsiennes (voire schradériennes) et esthétiques modernes à la Gaspar Noé pour un film sombre et provocateur, du moins dans les images, mais aussi simpliste et superficiel. Heureusement, il y a les acteurs : Tye Sheridan et Sean Penn. L’avis de Federico Gironi sur Black Flies.

Olie (Tye Sheridan) vient du Colorado, est à New York parce qu’il veut essayer d’entrer en médecine, et en attendant il travaille comme ambulancier pour subvenir à ses besoins. Il travaille sur les ambulances, en somme.
Un travail difficile, nous le savons tous, et pas seulement parce qu’il est physiquement et psychologiquement fatigant. Un gros travail car souvent ceux qui travaillent dans les ambulances, dans les grandes villes, doivent composer avec les pires (ou les plus compliqués et contradictoires) côtés de la nature humaine.
Pour Ollie, cela n’arrive pas souvent : cela arrive tout le temps. Travaillant dans la région de l’Est de New York, elle ne rencontre que des junkies, des voyous hyper tatoués qui ont été abattus ou poignardés, des alcooliques, des maris violents, des parias divers.
Ollie est d’accord avec ça, parce que lui, qui a un traumatisme familial qu’il porte avec lui, aimerait être l’ange du salut. Pour bien nous le faire comprendre, Jean-Stéphane Sauvaire (le directeur de Les mouches noires) lui enfile, lorsqu’il ne travaille pas, une veste rouge avec deux décorations en forme d’ailes qui descendent des omoplates le long des manches. Et comme si cela ne suffisait pas, dans sa petite chambre nue qu’il partage avec deux mystérieux colocataires chinois à Chinatown, il y a une image d’un ange (Saint Michel) accrochée au mur. Le fond rouge comme la veste. Le niveau de symbolisme du film est celui-ci, toujours.
Mais si Ollie, la recrue de service, veut être un ange, ses collègues, pas seulement le personnage odieux et névrosé joué par un ressuscité Michel Pittmais aussi l’ornière rugueuse, expérimentée et silencieuse de Sean Pennun vétéran du cure-dent dans la bouche qui souffre silencieusement de son divorce avec sa femme et qui prend Ollie sous son aile, est depuis longtemps arrivé à des conclusions opposées.
Autre que les anges du salut. Ces ambulanciers, brutalisés par la misère de la nature humaine, sont parfois tentés (en prennent-ils la liberté ?) de devenir des anges de la mort.

Visez très haut, Black Flies.
Il vise très haut en termes de contenu, car en somme, ce sont des questions morales d’un certain poids, qui sont cependant plutôt simplifiées et résolues avec un coup de bien-être qui laisse un mauvais goût dans la bouche. Et viser très haut, voire plus, en forme.
Le New York de Black Flies ressemble à celui de Scorsese (et pas seulement Scorsese de Beyond Life, même si ce film est un modèle clair) refait par un réalisateur comme Gaspar Noé, pour citer celui avec qui Sauvaire avait travaillé au début de sa carrière. Si nous voulons – et nous voulons, nous devons vouloir, car quelques scènes sur la plage de Coney Island crient ce titre fort – il y a aussi quelque chose à mettre au milieu Les guerriers de la nuit De Walter Colline.
Black Flies est un New York nocturne, brutal, hallucinatoire composé de lumières (phares, sirènes, enseignes, lampes de poche) qui se déploient et se reflètent sur les surfaces mais qui n’arrivent jamais à percer complètement – désolé pour la banalité, mais c’est tiré du film , et non la mienne – les ténèbres de l’âme humaine.
L’objectif est haut, le grain est gros.
On n’entre jamais dans la subtilité, entre des réanimations au milieu d’un abattoir islamique, et des jeunes mères qui font une overdose, l’aiguille dans le bras, et des nourrissons peut-être morts, peut-être pas, couverts de sang par le VIH.
Mais, pour revenir à un parallèle Scorseisien, le problème n’est même pas tant que ça, mais le fait que dans ses ambitions de vouloir penser à l’éthique et à la morale, à l’abîme que l’homme est capable d’explorer ainsi qu’à l’idéal et sommets idéalistes qui, ici, ont même une nuance religieuse, n’ont pas l’épaisseur d’un Paul Schradercapable de faire des raisonnements sérieux et profonds, peut-être philosophiques, et de tenir debout la baraque de Sauvaire.
Aussi parce que la rédemption va de soi (celle d’Ollie), tout comme la parabole de son partenaire Rut va de soi : celui qui, somme toute, doit aussi être un peu désolé pour nous. D’un autre côté, le 11 septembre s’est également produit.
Sheridan et Pitt travaillent toujoursil y a Mike Tyson ce qui rend leur capitaine et travaille un peu moins, et certaines scènes ne sont pas mauvaises, du moins d’un point de vue technique.