Examen du club zéro

Jessica Hausner trouve les thèmes justes, tente la voie d’une esthétique à mi-chemin entre Ulrich Seidl et Wes Andeson, mais son film est bidimensionnel, présomptueux, suffisant. La critique de Club Zero par Federico Gironi.

Troubles alimentaires et mauvais professeurs. La fragilité inhérente à la condition adolescente, mais aussi cette tendance adulte, et récente, à trop vouloir traiter les gosses avec des gants. Parce qu’ils sont tous spéciaux, ils ont tous du talent, ils sont tous si sensibles, même s’ils sont compétitifs.
Les thèmes intéressants ne manquent certainement pas au Club Zero. Mais Jessica Hausner parvient à tout gâcher un peu, dans un film aussi sournois, cinglé et manipulateur que le protagoniste qu’elle raconte. Une grande dame qui s’appelle Miss Novak, est interprétée par Mia Wasikowskaet est le nouveau professeur d’un internat exclusif pour jeunes riches et (ou) doués.
Son sujet ? Manger consciemment.

Lorsqu’elle rencontre ses élèves – tous absorbés par les nombreuses problématiques qui traversent les adolescents d’aujourd’hui : l’urgence environnementale, la durabilité, mais aussi leur forme physique, ou encore plus trivialement la moyenne scolaire – Miss Novak se met aussitôt à débiter un jargon et un enseignement à mi-chemin entre nouvel âge et santé-conscience. Avec son air pas trop rassurant il parle de respiration, de pleine conscience, de société de consommation, d’aliments transformés.
Le fait est qu’à partir de préceptes en partie partageables, semblables à ceux que l’on lit trop souvent dans les journaux, Miss Novak commence à aller plus loin, suggérant, avec l’attitude qu’utilisent les professeurs prescriptifs et charismatiques, et donc imposant effectivement à son groupe, des régimes puis abstinence totale de nourriture.
Parce qu’on peut vivre de rien, n’est-ce pas ? Pecoroni vous qui vous avez convaincu du contraire, et qui ne mangez que parce qu’ils sont esclaves des attentes de vos parents.

Même ce dernier aspect – celui d’un monde dans lequel tout est désormais valable, car nous sommes à l’ère de la post-vérité, des groupes Facebook, du fidéisme aveugle et du rejet de la science – est intéressant. Cependant, les thèmes ne suffisent pas pour faire un film. La mise en scène ne suffit pas non plus, qui semble ici découler de l’union pas trop inhabituelle entre la rigueur aseptique, géométrique et dénuée d’empathie du cinéma d’Ulrich Seidl (ici impliqué dans la production) et l’esthétique stylisée, colorée et bidimensionnelle. de Wes Anderson.
Le ton est suspendu entre drame et comédie, mais on s’aperçoit vite qu’il n’y a pas de quoi rire : aussi parce que souvent on aimerait faire rire les gens avec les habituels entr’actes montrant des parents absents et concentrés sur eux-mêmes, riches et incapables de relations et d’autorités avec les enfants, les adultes plus problématiques que les adolescents : des trucs qu’on a vu mille fois, depuis des décennies maintenant. Sans parler du thé à jeun conscient vendu par Miss Novak avec son visage imprimé dessus.

Mais le vrai problème est que, distraite par l’esthétique et les clins d’œil sournois, et par les nombreuses problématiques qu’elle choisit d’aborder, Jessica Hausner finit par être écrasée par l’envie de montrer à quel point elle sait manier la matière narrative avec goût pour la pop sans perdre de substance, et ce faisant finit donc par nous présenter un film banal.
Pire : satisfait.
Sans aucune forme de compréhension, sans aucune profondeur psychologique, sans le moindre intérêt humain pour les personnages, il bouge comme des pions sur ses parcours très élégants et rigoureux.
Le dernier plan, une reprise de la Cène (ha ha ha, comme c’est drôle) avec un regard à la caméra qui voudrait nous mettre en jeu (en complices moraux ? en adultes que je ne comprends pas ? qui sait) est la pierre tombale de vanité et d’opportunisme qu’un film comme celui-ci mérite. Nous ne faisons pas.