Hors saison Revue

Un homme et une femme se retrouvent après quinze ans et le traumatisme de la rupture de leur histoire d’amour. En bord de mer, hors saison. Hors saison est le mélodrame troublant de Stéphane Brizé avec Guillaume Canet et Alba Rohrwacher présenté à Venise. La critique de Mauro Donzelli.

Un couple, manteau et écharpe, sur le rivage, avec la mer écumante et agitée par le vent qui les fait se pencher en avant pour tenter de l’affronter du mieux qu’ils peuvent. L’image mélancolique de la mer hors saison, dans des endroits où l’on ne trouve presque personne quelques semaines après avoir été bondés, passant du centre à la périphérie des pensées de ceux qui vivent en ville. Stéphane Brizé il s’éloigne brutalement, géographiquement et thématiquement, de la chorale de ses récits d’usines en tourmente et d’un monde du travail démoralisé, pour se rapprocher de la plus démocratique des activités humaines : l’amour. Seul un couple, un lui et une elle, sont les ingrédients d’un Hors saison.

Il vit à Paris, où il est acteur. Il s’appelle Mathieu (Guillaume Canet), même si ce n’est jamais précisé dans le film, car il est célèbre, et les rares qui le croisent l’identifient comme tel, un passeport qui n’exige pas de nom, mais tout au plus un générique « J’aime beaucoup ses films » . Même si un inattendu, « à part les deux derniers », prononcé par un serveur un peu maladroit ou trop sincère, accueilli avec bienveillance et auto-ironie par l’intéressé, laisse penser que ce n’est pas exactement un grand moment pour sa carrière. De sorte que on le retrouve dans une sorte d’exil pour se ressourcer dans un centre thermal, même si le besoin de guérison concerne davantage l’esprit, chez une créature fragile comme celle d’un acteur touché par un échec humain. Il a annulé ses débuts au théâtre à la dernière minute très attendu et accueilli avec des pages d’analyses approfondies dans les magazines.

C’est Alice (Alba Rohrwacherici curieusement avec le nom de sa sœur directrice) professeur de piano d’une dizaine d’années sa cadette. Les deux étaient amoureux quinze ans plus tôt, puis ils se sont séparés, se remettant d’un amour qui a laissé des séquelles., qui habite près de l’hôtel de luxe où il se régénère. C’est elle qui l’appelle et reconnecte, les deux reprennent contact et ils se voient, se racontent le temps passé, avec cette intimité de quelqu’un qui s’est aimé, mais avec la conscience de vivre désormais dans deux univers différents. Ils ont en commun la désillusion et l’insécurité, la moins apparente, la moins inhabituelle chez une célébrité qui semblerait nécessairement obligée de jouir de l’argent, de la gloire et d’être heureuse. Mais il se sent raté et lâche pour n’avoir pas eu le courage de quitter sa bulle de confort, le cinéma, en se mettant en jeu chaque soir en direct sur scène. Alice s’est taillé un monde petit et simple mais heureux, avec une fille adolescente, mais aussi le renoncement à une carrière plus prestigieuse, toujours au nom de l’audace.

ET entre-temps, le temps passe et la fenêtre de satisfaction semble devenir de plus en plus petite. Brizé abandonne la caméra à l’épaule pour une composition mesurée d’images statiques, respectueuse de la démarche timide des deux, mais aussi de leur sensation d’immobilité. Ils sont tous deux isolés, lui en célébrité dans la tour d’ivoire, elle filme en petits tableaux le quotidien heureux et souriant, mais l’idylle est fissurée par l’absence d’audio, une joie ralentie. Une histoire capable de combler les silences avec un travail formel très intéressant, entre images crépusculaires et une splendide bande-son de Vincent Delerm pour l’accompagner comme une parfaite contrepartie émotionnelle, plus qu’un simple tapis.. Comme si le scénario était aussi composé de musique, ainsi que de dialogues et de décors caractérisés de manière à devenir un autre personnage.

Un paysage presque vide qui laisse place à des réflexions intérieures, sur la séparation d’une quinzaine d’années plus tôt et sur les choix non faits ou les opportunités perdues en cours de route. C’est le temps qui marque le mal intérieur de ce couple, des tourments anesthésiés, pour peu de temps seulement, par s’être retrouvés, par l’intimité et l’ironie avec lesquelles ils se rapprochent.. pouquoi Hors saison il sait alterner les rythmes, il ne tombe pas dans la monotonie, même s’il affronte courageusement les dérapages et les tourments d’un mélodrame. Merci également aux deux acteurs. À Canet, qui fait ici ressortir ce côté mélancolique qu’il avait montré autrefois en tant qu’acteur, mais surtout en tant que réalisateur. Une histoire déchirante, rendue aussi grâce aux couleurs chaudes du sourire timide de Alba Rohrwacherde ses joues rouges d’embarras, prête à se transformer en curiosité et en décision effrontée.

C’est aussi un éloge du rôle apparemment non essentiel, mais « héroïque » de l’artiste – qu’il soit acteur ou musicien – qui se préoccupe de nourrir l’âme, ennoblissant nos vies au-delà de la subsistance. Un éloge de la fragilité, de ne pas se priver de l’autre à cause de défauts, d’apprendre à se connaître à travers ses points faibles. Déchirant et émouvant, authentique et inestimable. Un Brizé qui nous emmène dans des territoires inattendus et où l’on aimerait séjourner, hors saison, en compagnie de Mathieu et Alice.