Jeanne du Barry – La revue préférée du roi

La maîtresse préférée du roi Louis XV quelques années avant que la Révolution ne détruise un monde. Une extraterrestre devant un tribunal qui l’a rejetée dans Jeanne du Barry de et avec Maïwenn aux côtés de Johnny Depp. Critique du film d’ouverture de Cannes 2023.

Au bord d’une rivière, en pleine campagne loin du centre de toute forme d’électricité. La ville natale de Jeanne Vaubernier était extrêmement modeste. Au milieu du XVIIIe siècle en France la mobilité sociale était vraiment réduite, mais pour s’élever socialement la belle Jeanne mit à profit tous ses talents, esprit et charme, élégance et malice. Pour son sixième film, Maiwenn change définitivement de style et de cadre, s’éloignant du réalisme contemporain, souvent métropolitain sinon street, pour remonter quelques siècles en arrière un genre à part entière comme la fresque de cour, également grâce à un budget particulièrement important. Ce qui n’est pas très différent de ses autres œuvres, tout en racontant Jeanne du Barrygrimpeur social et favori du roi de France Louis XV, est le point de départ très personnel, parfois ombilical dans le passé.

On retrouve beaucoup chez Jeanne, Maïwenn, née Le Besco, un patronyme définitivement nié en raison de mauvaises relations avec ses parents. Ils partagent une naissance périphérique et humble, ainsi que la complexité de s’installer dans un contexte très différent. Pour Jeanne la cour royale de Versailles, amante du roi Louis XV, pour Maïwenn le monde du cinéma, liée depuis son plus jeune âge pendant quelques années au roi du cinéma transalpin de ces années-là : Luc Besson.

C’est par le passage d’un lien avec le comte du Barry que la jeune femme aborde les palais de la noblesse, avant que Richelieu lui-même ne le présente au souverain. Posséder la scène de leur première rencontre, avec la mise en garde de ne pas le regarder dans les yeux, sous peine d’un message clair et malveillant, visiblement ensuite appuyée dans les actes par un échange libidineux entre les deux, résume bien le désir de la courtisane de bien s’en sortircapable de contaminer le roi avec son énergie « scandaleuse », assombrie par la perte de son ancien amant, Madame de Pompadour.

Jeanne du Barry c’est exagéré, souriant, déplacé. Pour le dire (et se dire) l’auteur esquisse un film posé, où quelques flashs excentriques ne déstabilisent pas le cadre élégant choisi par Maïwenn, avec des bruits doux à quelques décibels près de Polisse ou de Mon roi. Une beauté formelle qui explose dans des séquences vraiment bien construitesoù les couleurs pastel alternent avec les velours de la cour, avec des scènes de table éclairées à la bougie – rehaussées par un tournage en 35 mm – qui font un clin d’œil au Kubrick de Barry Lyndon. On espérait encore quelques ricanements, mais ici la réalisatrice et comédienne retient sa vision turbulente du cinéma, les extrêmes narcissiques et autoréférentiels, même après quelques grimaces trop dangereuses, grâce à quelques plaisanteries et, nous semble-t-il, , pas de tournure ironique involontaire.

La dimension du jeu permet de soutenir les meilleurs moments d’un film qui manque d’un certain ralentissement qui risque de faire ressortir un contexte poussiéreux comme les moquettes de l’immense bâtiment, avec Versailles pour représenter à la fois un labyrinthe et une cour de récréationqui dans le Marie-Antoinette De Sophie Coppola – référence déclarée – nourrit une mélancolie capable de faire ressortir un dépaysement existentiel délicieusement en contraste avec les couleurs pastel et les anachronismes de la mise en scène, alors qu’ici Maïwenn reste plus en surface, toujours sur Jeanne, sans pouvoir la faire communiquer avec ce splendide antagoniste qu’aurait pu être Versailles.

L’envie de la cour demeure, des sœurs presque aussi perfides que les demi-sœurs avec Cendrillon, au milieu des scandales et de l’acharnement du temps qui passe, alors que Jeanne était si douée pour faire oublier ses humbles débuts, dans un pacte faustien de vengeance sociale, Que quelques années plus tard, elle subira le ricanement d’une révolution criant « le pouvoir au peuple », elle qui est sortie de ces rangs, la guillotine prête à l’action et une revanche sociale à l’humour particulièrement aiguisé.

ET Johnny Depp, en tant que roi Louis XV, comment va-t-il ? A son premier test de français il s’engage comme un collégien à répéter ses (quelques) blagues avec un bon accent, en vérité avec la roboticité des annonces de gare. Mais il est fonctionnel de représenter l’un des derniers héritiers d’un Ancien Régime bourré de générations de consanguinité, fermé à la cour dans ses privilèges et bientôt guillotiné. Plus que des croissants.