La revue damnée

L'Ouest, la frontière, un peloton de volontaires : Minervini tente de réaliser sa Mince Ligne Rouge, mais l'opération n'est pas très réussie (le charme des images demeure). La critique de The Damned de Federico Gironi.

Une meute de loups autour de la carcasse d'un cerf, mord et arrache des lambeaux de chair. Ça s'ouvre comme ça Les damnésle premier film de fiction (mais tourné sous forme de documentaire) de Roberto Minervini (qui faisait circuler les docs comme de la fiction).
Western à sa manière, une réflexion philosophique sur la guerre qui se voudrait un peu La fine ligne rougeet qui est en revanche une trace dans la neige qui finit malheureusement dans le néant.

Guerre de Sécession, 1962, une compagnie de soldats nordistes – tous volontaires – est envoyée explorer, patrouiller et surveiller les régions inexplorées du grand Nord-Ouest américain. La frontière occidentale. Bois, montagnes, prairies, ruisseaux. Peut-être, quelque part, de l'or. Certainement des buffles, des chevaux sauvages, un ennemi mystérieux et invisible.
On dirait presque un désert tartare, avec les soldats qui attendent, entre cartes et whisky, patrouilles et sentinelles, puis ces adversaires sans visage mais avec poulains et winchesters se font entendre. Ils attaquent, ils tirent.
Puis ils disparaissent.
Il y a de moins en moins de soldats, ils se connaissent de mieux en mieux. Ils avouent leurs pensées, leur passé, leurs peurs. Certains ont le réconfort de la foi, d’autres ne croient qu’en leur arme, d’autres encore en rien, peut-être même pas en eux-mêmes. Il ne reste plus qu’à diviser, à continuer à explorer, à chercher quelque chose : une issue, peut-être.

Minervini, on le sait, a un instinct extraordinaire pour l'image, et The Damned le confirme, également dans l'insistance sur l'utilisation de verres qui brouillent constamment les zones latérales de la monture. Il sait toujours quoi tirer, comment, quand. Pour cette histoire, il est retourné vers la famille Carson racontée dans Arrêtez le cœur battantà leur obsession religieuse.
Plus que tout, il serait légitime et logique d'attendre de la part de personnes issues d'un milieu socioculturel faible comme ces soldats à l'écran, les personnages de ce film philosophent toujours sur la foi, la guerre, l'humanité : quelque chose ne va pas. Que Minervini ait voulu parler de la tentative absurde de donner un sens à ce qui n'a pas de sens (la guerre, la violence, cette mission) est clair et légitime. Il est moins clair s’il a lui-même réussi à donner un sens à cette recherche, à ce film.

A l'image des personnages qu'il raconte, nous qui nous trouvons face à Les damnés nous nous demandons ce qui se passe, pourquoi rien ne se passe, quel est le but de notre rôle de spectateur, de l'histoire qui nous est racontée.
Minervini il nous entraîne dans un labyrinthe de réflexions même fascinantes, mais ne trouve ni issue ni chemin. Ça tourne en rond, ça se réduit à des boucles.
A la fin, nous sommes comme au début : perdus, sans direction. A la merci de la nature. Pas assez, pas au cinéma.