La revue de la chimère

Alice Rohrwacher raconte son histoire avec passion et humour, prenant de grands risques avec une admirable légèreté, faisant peut-être face à un coup de cœur évitable, mais sans craindre d’être parfois détraquée. Et cela profite au film. La critique de La chimère de Federico Gironi.

Qui sera ce jeune anglais grand et mince qui ressemble un peu au jeune homme Ayrton Sénéet qui se promène dans un costume blanc qui, moins sale et froissé, le ferait ressembler auHomme de Del Monteou un émulateur de John Travolta du fièvre du samedi soir?
Quel est l’ami qui, à sa descente du train, quelque part dans la campagne entre le Latium, la Toscane et l’Ombrie, l’attend à bord d’un 127 bleu clair, et qui parle d’un certain Spartacus qui aurait payé la caution ? Et de quelle caution parles-tu ? Surtout : qui est cette belle fille aux cheveux roux que l’on voit avec l’Anglais dans les premières images oniriques de ce film ?

Ces mystères ne durent pas longtemps, dans La chimère, même si un certain mystère demeure, tout au long d’un film qui marche sans cesse, avec un équilibre élégant et miraculeux, sur une corde tendue entre deux contraires. Parmi tant d’autres, des contraires. Entre rêve et réalité, comédie et drame, l’envie de raconter mais aussi de laisser subsister de nombreuses questions, peut-être secondaires, mais pas seulement.
Le garçon anglais ridé et dégingandé s’appelle Arthur, et c’est l’étranger de une bande folle de pilleurs de tombes qui, comme chante une sorte de ménestrel à un moment donné, vole non pas pour s’enrichir, comme le font certains, mais pour échapper à la misère. Le leur semble presque une version années 80 et country du groupe de Soliti ignoti désespéré de Monicelliplus ou moins destiné à finir avec des pâtes et des pois chiches comme celui-là : rien que des rêves de richesse.

Le fait est qu’Arthur, un ancien archéologue doté de compétences en radiesthésie pour trouver des tombes étrusques, est un voleur de tombes en partie par passion (pour les antiquités) et en partie par désespoir (pour l’amour). Pour combler, aussi bien qu’avec de l’alcool, les vides de sa vie. Vide de beauté, vide de sentiment, que la mère de Beniamina (la belle rousse), une riche dame d’un palais de campagne délabré, ne suffise pas, ni peut-être sa jeune apprentie chanteuse brésilienne, qui pose aussi ses yeux sur Arthur oui.
Arthur’s est une double vie, jour et nuit, rêve et veille, réalité et rêve, sol et souterrain. Vie et mort. ET un jeune homme qui se déplace sur la frontière mince, éphémère, parfois invisible. Son destin est lié à quelques bouteilles, à des branches en forme de Y, aux reliques d’un passé qu’il ne peut surmonter. Son destin est lié à un fil rouge, le fil de l’amour pour Beniamina, qu’il suit comme Ariane, pour agir comme Orphée auprès de son Eurydice.

Alice Rohwacher raconte son histoire avec passion et humour, prenant de grands risques avec une admirable légèreté, peut-être face à un coup de cœur évitable, mais sans la peur d’être parfois délabré: en effet, presque heureux, du moins inconscient de l’être. Les obsessions de son cinéma reviennent ici aussi, aussi dans La chimère, mais elles sont plus douces, moins graves. Plus aérien, malgré le sous-sol.
La réalisatrice semble se prendre encore un peu moins au sérieux, désireuse de jouer davantage avec la comédie sans jamais oublier la douleur et les sentiments. ET cette légèreté généralisée, incarnée par le sourire d’Arthur et le désenchantement amer et alcoolisé, fait du bien à elle, au film, aux personnages. Même quand il dérape, même quand il se trompe.