Le menu est un repas vraiment original, qui ne sera pas facilement oublié. Réalisé par Mark Mylod, le film a été présenté au Rome Film Fest et arrivera le 17 novembre dans les salles italiennes.
Un groupe de personnes monte à bord d’un yacht pour rejoindre une île. Sur cette île, un restaurant. Hawthorne, qui n’est cependant pas n’importe quel restaurant. C’est un de ceux non seulement très chers (1250 dollars, vous faites la conversion), où l’on fait de la haute cuisine. Cette cuisine qui devient art, recherche, expérimentation, philosophie. Vivre. A en juger par les aliments, les ingrédients, plus un Noma qu’une Osteria Francescanapeut-être, mais cela importe peu.
Ils n’ont pas l’air très gentils, ces gens. Il y a trois managers arrogants et caciaroni d’une entreprise technologique très riche, un couple de millionnaires (bien sûr, il a des secrets), un vain acteur en déclin (Jean Leguizamo ce qui me semble évident une version minimale du regretté Johnny Depp) et son assistante, une critique culinaire pleine de prosopopée et de self, la femme qui a lancé la carrière de chef de restaurant, et sa gracieuse courtisane.
Et puis il y a nos deux protagonistes, Nicolas Hoult Et Anja Taylor Joy: c’est un fanatique de cuisine, un gastrofighetto obsédé par les techniques et les photos de plats, super excité d’avoir enfin trouvé une table et de savourer les délices élaborés de Hawthorne ; son escorte un peu mystérieuse (mais un peu pas) dont nous comprenons qu’elle n’était pas son premier choix.
Car, arrivés sur l’île, l’assistant hautement qualifié et militaire du chef, ainsi que maitre du restaurant, qui sait tout sur tous les convives, reste un peu comme ça face à ceux qui ne pensaient pas qu’il fallait les accueillir.
Une fois sur l’île, et une fois attablés, plat après plat, tous ces personnages comprendront que ce dîner, et ce menu qu’ils pensaient déguster, conçu conceptuellement par le chef de Ralph Fiennes, qui s’appelle Julian Slowik dans le filmils leur réserveront des surprises d’abord malvenues, puis dangereusement meurtrières.
Au scénario de Le menu il y a Est-ce que Tracy Et Seth Reiss. Le premier vient de Succession (comme le réalisateur Marc Mylodtoutefois), L’oignon Et Jean Olivier; le second est l’homme derrière beaucoup de Seth Meyers. Il n’est donc pas étonnant que les tons de ce thriller gastronomique soient souvent à la limite de ceux d’une satire très acide.
Qui sont les cibles de cette satire ? Tous. L’acteur mythomane et présomptueux, qui fait tomber des noms et tire des mensonges. Les trois yuppies du troisième millénaire. Hypocrites bons maris.
Évidemment, les cuisiniers philosophes mégalomanes avec le syndrome de Dieu, qui ne se contentent pas de tout déconstruire, mousser, gélifier, fumer, vaporiser, conceptualiser, qui pontifient sur tout.
Et, surtout, ceux qui se suspendent à leurs lèvres sans esprit critique, ne réagissent pas même face à l’évidence la plus effrontée, et qui savent tout, savent tout, commentent tout, exaltent tout, sans même savoir de quel côté saisir une casserole.
Si la cuisine de haut niveau est quelque chose qui parle de vie et de mort, qui interroge l’abîme, comme le rappelle le personnage Houltcelui de chef Fiennes ce n’en est pas un brigade de cuisine, mais une secte. Lui, pour eux, comme il est souvent aussi en réalité, un Dieu, un gourou, (ainsi qu’un) chef. Un de ces sept prêts à tout pour suivre les diktats et les visions visionnaires de leur patron. Même le suicide, ou l’homicide-suicide, pour ainsi dire.
La minutie obsessionnelle avec laquelle les plats sont préparés, posés dans l’assiette, servis, est la même avec laquelle le chef Slowik a élaboré son plan. Les équilibres et stratifications des saveurs sont les mêmes que dans la composition de la salle, et les secrets qui se dégagent peu à peu.
Mais, bien sûr, ce que le chef ne pouvait pas prévoir, c’était l’inattendu. Anja Taylor Joy. Ou Margot, comme elle se fait appeler dans le film. Une Margot qui n’appartient ni au monde de ces convives arrogants, ni à celui du personnel de cuisine. Un éclat fou qui pourrait saboter un plan parfait, si la perfection était de ce monde.
Mais aussi celui qui, presque comme dans Ratatouille, rappelle au chef ce que signifie vraiment la nourriture et sa préparation, et que l’on ne cuisine pas par obsession, mais par amour. Qui fonctionne sur Madeleineet qu’à tant de plats élaborés et prétentieux, il préfère un cheeseburger qui a le goût du salut.
En y repensant, ce n’est pas très original, Le menu, et peut-être dépasse-t-il parfois la conceptualité et la figetteria, tout comme les menus qu’il raconte. Mais il est un film capable d’avoir un côté cheesburger et frites, pour rappeler les bases d’un genre qui peut (aussi) être gras et gras derrière le plat impeccable.
Bref, vous vous amusez dans tous les sens.
Qui sait si un Bottura, ou qui que ce soit pour lui, penserait la même chose. Un marketing avisé et courageux demanderait l’avis des chefs, et non des critiques de cinéma : souvent rumeur et vain comme celui gastronomique du film.