La revue Fabelmans

Présenté en avant-première italienne dans le programme du Rome Film Fest et d’Alice nella città, le nouveau travail du grand réalisateur américain, qui parle de lui-même, du cinéma et de nous tous, arrive dans les salles le 15 décembre. Revue par Federico Gironi.

Qu’est-ce que le cinéma ? Pourquoi est-ce?
Le cinéma sert à exorciser les peurs.
Il sert à saisir la réalité que nous ne voyons pas à l’œil nu, ou que nous ne voulons pas voir. Manipuler cette réalité aussi, en supprimant les parties que nous n’aimons pas, ou en racontant des histoires qui n’ont rien à voir avec la réalité. Ou, encore, en mettant à l’écran ce qui est différent de la réalité : donner peut-être une dimension superomiste à n’importe quel tyran, ou enfin redimensionner, mettre en avant la dimension ridicule, qui est mauvaise et dangereuse.
Il sert à garder le spectateur bouche bée, à le faire rire, à le faire pleurer.
C’est ce qu’il apprend Samy Fabelman (ce qui est presque fablemanl’homme du conte de fées) dans sa carrière de jeune spectateur et, dans la foulée, de cinéaste en herbe, frappé par la vision du Le plus grand spectacle du mondetellement choqué par la scène de l’accident de train qu’il a dû d’abord la reproduire, puis la filmer, chez lui.

A partir de ce moment, Sammy ne cessera de filmer, de filmer, d’inventer des histoires et des situations, d’agencer des effets spéciaux. Affiner son art. Et apprenez ce qu’est le cinéma et à quoi il peut servir.
Sammy l’a appris, donc Steven Spielberg, le maître incontesté, l’a appris, celui qui respire le cinéma, le vit, l’incarne. Et puis il est clair que Les Fabelmans c’est tout ce qu’est le cinéma : c’est l’exorcisme (d’une triste histoire de divorce et de souffrance), c’est la fascination (pour l’histoire), c’est l’émotion, le drame et la comédie. Et c’est sûrement, il serait idiot et naïf de ne pas y penser, de la manipulation : aucun de nous ne saura jamais si et à quel point Spielberg a embelli, enlaidi, modifié, censuré ou exalté la réalité des faits. Mais franchement, je m’en fous, et tu ne devrais pas t’en soucier non plus.
Parce que c’est du cinéma, la vérité va voir ailleurs.

Cinéphile est cinéphile, Les Fabelman, mais il n’est jamais inutilement fétichiste, ni ne ressemble à d’autres films sur le cinéma. Nostalgique, peut-être, mais jamais enfermé dans le regret solipsiste d’une époque qui fut. Pas même sur le plan autobiographique, finalement décliné selon des trajectoires différentes de celles auxquelles le cinéma le plus récent s’est habitué. Alors bien sûr, que Sam c’est Steven le même réalisateur nous le rappelle, encore et encore, notamment dans le choix d’un acteur, Gabriel LaBellele Sam le plus « adulte » des trois que nous voyons à l’écran, qui di Spielberg il est clairement plus un sosie qu’un avatar. Mais Steven n’est pas caché à Sam, et Sam s’ouvre pour s’adapter à la projection de chaque spectateur.

Et aussi, Les Fabelmanle film (volontairement) peut-être le moins compact, le plus déchiqueté et le plus vacillant, parmi tous ceux réalisés par Spielberg dans sa carrière, qui s’inscrivent aussi en lui en images, figures et personnages.
Un film toujours sujet aux changements de ton, d’ambiance, de situation. Avec des changements soudains d’orientation. Mais cela le rend plus humain, si vous voulez, alors que La capacité de Spielberg à flirter avec cette indétermination sans jamais perdre, pas un instant, le contrôle total de son art, qui a quelque chose de surhumain.
Il suffit de penser à quand Spielberg, quand ses parents, les parents de Sam, annoncent à leurs enfants la décision de divorcer, et tout est un passage continuel et hystérique de l’un à l’autre, et tout un débordement de sentiments, insérez un plan presque subliminal dans lequel Sam se voit, il s’imagine, dans un miroir en filmant cette scène.
Rationalité et sentiment. Sciences et arts. Distance et participation. Père et mère. Ce sont les dichotomies (la dichotomie) derrière ce film.
C’est pourquoi on est ici moins ému que dans les autres films de ce maestro. Pour Spielberg, il était essentiel de garder l’équilibre. Le bar au centre.

Peut-être, cependant, que la chose la plus cool de toutes se termine étonnamment. Dans une fin risquée, qui pourrait passer pour effrontée, voire tachetée, au risque d’une figurine, dans son envie obstinée de confronter le jeune Sam à la légende Jean Ford (joué par un autre réalisateur, à en croire extraordinairement similaire, mais vraiment inattendu : je ne dis pas le nom pour ne pas gâcher la surprise), mais qu’il ne l’est pas du tout. Au contraire.
La plus belle chose, disais-je, c’est qu’à la fin de cette sarabande de situations et d’émotions, qui évoquent le solo show de Spielberg, et la mémoire des spectateurs, et l’amour du cinéma, et de la vie, Spielberg lui-même décide terminer en rappelant que le cinéma peut – voire doit – être une chose simple. Un jeu, pour s’amuser et se divertir.
C’est simple : autre horizon ou horizon bas. Jamais entre les deux.
Un réglage caméra.
Noir.
Fin.
Applaudissements.