Le fantôme de Jean-Luc Godard au Festival de Cannes 2023

Bien sûr, où que vous alliez Cannes tu tombes sur la belle photo de Catherine Deneuve choisie comme image officielle de la 76e édition du Festival. Mais accrocher vraiment le festival avec sa longue ombre, cette année comme tant de fois dans le passé, en est un autre grand. Celui d’un autre grand. D’un autre inaccessible, encore plus inaccessible que le divin Deneuve. L’ombre sournoise de Jean-Luc Godard.
Godard qui n’était pas qu’un réalisateur, mais un mythe, une légende. Même dans la vie. Légende alimentée par Godard lui-même avec son cinéma, bien sûr, mais aussi avec ses interviews, ses polémiques, ses disparitions.

Qu’on le veuille ou non – et il est franchement impossible que dans la très longue filmographie de Godard n’est-ce pas au moins quelque chose que vous aimez – Jean-Luc Godard méritait ce mythe. Parce que Godard était un génie.
Un génie qui a peut-être claqué son génie, son intelligence et son extraordinaire créativité face au spectateur, ou à l’interlocuteur, d’une manière qui peut aujourd’hui (mais aussi alors) être considérée comme discutable ; mais tout de même un génie.
Il dit François TruffautDans le documentaire Godard par Godard qui faisait partie de l’hommage au réalisateur organisé au sein de la section Cannes ClassiquesCe Jusqu’au dernier souffle était avec Quatrième pouvoir le meilleur début de l’histoire du cinéma dans son ensemble. Je, pour dire, pense que Jusqu’au dernier souffle est meilleur, et plus influent, et plus radical dans l’avancée faite au cinéma comme art et comme langage, même que le film de Welles.

Voici: tu n’aimes peut-être pas Godard, mais tu ne peux pas ne pas aimer A bout de souffle.
On ne peut manquer d’aimer ces premiers films qui précèdent la première des nombreuses transformations qu’a subies le cinéma de Godard au fil des années, la politique, qui aussi dans le documentaire vu ici à Cannes – dans ce qui a été souligné à plusieurs reprises comme étant la préférée de GodardDebussy – coïncide avec le making of de Le chinois. Bref, le tournant politique. Celui-la écrit par Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque françaiseEt réalisé par Florence PlataretsEt un documentaire très simple et direct, très peu godardien si l’on veut, qui reconstitue l’extraordinaire parcours de cet auteur à travers le montage d’images d’archives uniquement – films, backstage, interviews: après le tournant politique, la voie expérimentale et son exil, le retour vers un cinéma et une scène publique plus compréhensibles, le retour à Cannes, la tarte au visage, le Lion d’Or – le premier prix est arrivé incroyablement en retard, et merci à mon ami Bernardo Bertolucci – Pour Prénom Carmenet puis tout le reste.
Y compris, bien sûr, l’obsession toujours croissante du sens de l’image, de la limite du langage (également cinématographique) et des stratégies de dépassement et d’approfondissement.
Simple et direct, Godard par Godard, mais loin d’être négligeable, je dirais même très important, surtout pour la capacité qu’il a à faire – silencieusement, discrètement – un portrait qui n’est pas seulement de Godard le réalisateur, mais aussi de Godard l’homme.
Un homme très intelligent, méprisant, énervé, provocateur qui a rejeté toute hypocrisie des interactions humaines au point de frôler l’arrogance et la grossièreté. Mais aussi un homme qui, en vieillissant, a montré – avant sa retraite définitive de la scène publique – des signes de très léger ramollissement.

Dans le cadre de l’hommage à Godard, qui comprenait également une projection du Mépris en version restaurée, d’après le documentaire Godard par Godard l’attendu a également été projeté Film annonce du film qui n’existera jamais: «Drôles de Guerres»le soi-disant « court métrage posthume » du réalisateur.
Ici, ces vingt minutes, vingt minutes de signes fixes (avec un seul court intermède filmé), collages réalisés sur cartes A5 par Godard lui-même avec textes et photos, présentés avec fond sonore, qui sont hypothétiquement l’ébauche de ce qui aurait pu devenir un film , je n’aurais pas montré.
Non pas parce qu’ils ne contiennent pas de choses très intéressantes, mais parce que clairement quelqu’un qui, le voyant ainsi, maintenant, manque de cette mise au point finale que lui seul, extension jlgaurait-il pu garantir.