Marges de révision

Présenté à la Semaine internationale de la critique, le seul film italien de la sélection 2022, cette sorte de nouvel Ovosodo de Grosseto qui raconte l’histoire de trois amis punks de la province du début des années 2000, fait ses débuts en salles le 8 septembre distribué par Fandango.

Il existe une carte, que l’on trouve assez facilement sur internet, qui montre comment 50% de la population italienne vit sur ce qui représente 10% du territoire, tandis que les 50 autres sont dispersés dans les 90 restants. Ces 90% il y a la vraie province, ce lieu splendide d’un point de vue socio-anthropologique, sinon aussi d’un point de vue paysager et environnemental, trop rarement utilisé par notre cinéma pour raconter ses histoires. Pourtant, la province est une source quasi inépuisable d’histoires, surtout quand les histoires racontent la tension, peut-être idéale, avec toute cette partie de l’Italie qui n’est pas une province : l’Italie métropolitaine, celle où les choses se passent. Ou alors il devrait en être ainsi.

« On est à deux heures de tout », se plaignent les protagonistes de Marginititre pas du tout désinvolte de ce film de Niccolò Falsetti Et Francesco Tourbantile premier réalisateur, le second interprète, tous deux auteurs de sujet et de scénario.
A deux heures de tout, de Florence, de Bologne, de Rome, à deux heures de tout ce qu’ils désirent, désirent, aspirent. De ce qu’ils aimeraient être ou devenir. Deux heures qui ne sont pas une distance physique, mais une sorte de fuseau horaire existentielqu’Edoardo, Iacopo et Michele, les trois protagonistes de ce film, les trois garçons d’âges et d’horizons différents qui jouent ensemble dans un groupe punk hardcorequ’ils tentent d’annuler en faisant jouer dans leur province, qui est Grosseto, un important groupe américain, dont ils feraient alors la première partie.
Le problème c’est qu’avec les fuseaux horaires il n’y a pas grand chose à faire, essayer de les annuler risque de ne provoquer que le décalage horairequi dans le cas spécifique, celui de Margini et de ses protagonistes, signifie alors faire face à une série de dynamiques chaotiques et inattendues, qui conduiront à des résultats pas nécessairement alignés avec ceux que les trois garçons voulaient atteindre.

Nous ne sommes pas à Livourne mais à Grosseto, et nous ne sommes pas à la fin des années 90 mais une décennie plus tard (en 2008, pour être précis), et pourtant, sans que cela ait à signifier quoi que ce soit de négatif ou d’imitatif, vous pouvez respirer un peu l’air d’Ovosodo, dans ce Margini. Qui est une histoire de province, une histoire de passions musicales, une histoire d’amitié et de regard sur le monde, mais c’est aussi, et peut-être surtout, une histoire de passage à l’âge adultebien que, pour certains, en partie, en retard.
Une certaine ingéniosité ne manque peut-être pas, mais c’est une ingéniosité, en l’occurrence, fille d’une passion sincère, du désir de se raconter et de se raconter sans trop de superstructures inutiles, rendant dans la forme la plus pure possible le regard et la sensations de ceux qui ont vraiment vécu ce genre de monde et de situations de première main. De ceux qui ont ressenti un fuseau horaire existentiel non seulement pour la distance physique et idéale avec des réalités métropolitaines qui ne sont fondamentalement pas trop différentes de la province, sous la patine du cosmopolitisme amatriciana qui nous distingue, mais surtout pour son manque délibéré d’alignement avec qui était le plus proche de lui. Pour la conscience d’être, partout et en tout cas, en marge.

Mal alignés, les protagonistes de ce film se heurtent à des lieux et des personnages, mais surtout à eux-mêmes. Chocs drôles, parfois très drôles, d’autres poliment chargés d’un sentiment très pudique. A force de planter, ou d’essayer (ou pas) d’emboîter les morceaux, d’aligner le monde à soi plus que l’inverse, on s’enfonce, mais on trouve aussi une place.
Cet espace qui devient immense, dans le cœur, quand Marges se termine avec deux punks provinciaux, suspendus entre satisfaction et déception, enfermés dans la voiture pour saluer un nouveau jour en chantant à tue-tête un vieux morceau de Massimo Ranieri.