Revue d’audition

De retour au cinéma pour la première fois, en événement spécial et en édition restaurée, le film qui a révélé au monde le talent du réalisateur japonais. Audition sera en salles les 23, 24 et 25 janvier avec Wanted Cinema.

Révisez aujourd’hui auditionset voyez combien c’est plus beau, puissant et dérangeantest la source de deux ou trois considérations assez évidentes.
La première est qu’il s’agit grand cinéma, de ce cinéma qui ne vieillit jamais ; la seconde est qu’il est un classique, où par classique nous entendons une œuvre qui, à n’importe quel temps, est capable de parler au présent et du présent ; la troisième est que, bien qu’aujourd’hui peut-être la mémoire soit fragilisée par le temps et les visions, lorsque le film a commencé à circuler sur les écrans du monde entier, en 2000, il y a plus de vingt ans, il fallait bien qu’il soit une expérience explosive et quelque peu révolutionnaire.
Takashi Miike il a toujours été avant-gardiste, et à certains égards il l’est toujours, mais ce qui est certain, c’est que dans ces années-là, dans ces toutes premières années du nouveau millénaire, avec des films comme celui-ci, comme Ichi le tueur, Gozu, Le Bonheur des Katakuris, Visiteur Q Et Big Bang Love, juvénile A, était vraiment la chose la plus magnétique, la plus choquante et la plus vitale du cinéma mondial. Qu’est-ce qui a servi à combler le vide laissé par l’inévitable déclin, avant et après laremises qui avait rendu ce territoire à la Chine, du cinéma de Hong Kong.

Preuve supplémentaire de ce que Miike avait à peu près tout bien auditions il y a le fait que, malgré peu ou rien depuis longtemps, le film colle au regard (ou l’inverse, si vous préférez) dès la première scène.
Comme on le sait, le début de auditions est très conventionnel, il raconte une histoire – celle d’un homme qui reste veuf, et qui des années plus tard, poussé par son fils, se met en tête de se trouver une nouvelle épouse – qui pourrait, pour ce qu’il raconte et comment il raconte il Miike, être le début d’un drame romantique et familial. Ou même, comme le montrent certaines nuances, d’une comédie.
Pourtant, en même temps, Miike sème déjà, à sa manière, les étranges indices de l’horreur à venir. Un exemple pour tous : le barman et son shaker, tandis que le protagoniste Aoyama et son ami producteur parlent de ce que va devenir leur plan, le casting d’un faux film afin de trouver une fille qui convienne à Aoyama.

Ils suffisent pour Miike quelques coupes de montage (comme celle qui déplace le rendez-vous entre Aoyama et Asami d’un bar à un restaurant élégant) pour incliner le plan de l’histoire juste assez pour le déplacer – presque imperceptiblement au début, et de plus en plus évident puis – du réel à l’onirique, du quotidien à l’horrible. Horreur qui surgit déjà, dans sa troublante perturbation, dans la première scène où l’on voit Asami dans sa maison, entre un sourire diabolique et un sac mystérieux et étrange qui roule.
Depuis le réveil d’Aoyama dans un lit d’hôtel d’où Asami a disparu vers l’avant, Miike appuie fort sur l’accélérateur, l’avion de l’histoire ne l’incline pas mais le renverse, et L’audition se transforme en cauchemar éveillé capable d’être à la fois surréaliste et très concretet qui culmine dans la séquence de torture devenue également célèbre pour les réactions qu’elle a pu susciter chez les spectateurs.
Mais attention, car le sadisme et la cruauté et la perversion mis en scène par Miike (ici comme ailleurs d’ailleurs) sont tout sauf gratuitset on pourrait même parler d’une certaine élégance dégénérée, même dans les moments les plus durs et les plus durs – mordant et coupant, si vous me passez la plaisanterie insipide – du film.

Cependant, la question n’est pas esthétique, mais plutôt de contenu. De ce qu’Audition était et raconte à ses téléspectateurs.
Aujourd’hui, dans le billet #MeToo, le thème de la revanche féministe-féministe d’une vie d’abus, de violence et d’abandon apparaît encore plus clairement, qui s’exprime selon des trajectoires altérées et psychotiques. Tout comme certains comportements qu’on qualifierait aujourd’hui de « patriarcaux » du protagoniste deviennent encore plus évidents.
Et pourtant, face aux regards que se croisent Aoyama et Asami à la fin du film, alors que tous deux sont au sol, neutralisés, blessés, paralysés, des regards qui trahissent plus la consternation et la déception que la colère et le ressentiment, et une douleur qui n’est pas tant physique que psychologique, on se rend compte qu’après tout, L’audition est vraiment un drame sentimental, familial, existentiel. C’est l’histoire d’individus solitaires et donc blessés, victimes chacun à leur manière des constructions sociales et des rôles de genre, cherchant désespérément un rêve d’amour et de contact humain qui s’avère irréel et dévastateur.
Miike, d’autre part, l’avait dit depuis le début.
Depuis qu’il avait échangé des impressions sur une vidéo de mecs en concert avec un collègue, la discussion est vite devenue cynique et désabusée : « Tout le monde au Japon est seul », dit l’homme qui regarde la vidéo avec Aoyama. « Toi aussi ? » lui demande alors le protagoniste. « Pourquoi pas toi? » est la réponse, accompagnée d’un sourire éloquent.