Une fille tuée de manière barbare, un enquêteur et son équipe qui enquêtent. Polar français de Dominik Moll, La Nuit du 12 est un portrait de l’obsession d’un policier pour l’enquête et la masculinité toxique. L’avis de Mauro Donzelli.
Une histoire de fantômes, compagnons de vie oppressants d’un enquêteur à la recherche du coupable d’un meurtre particulièrement odieux. La victime est Clara, brutalement assassinée La nuit du 12. Un fémicide, dirait-on aujourd’hui, sur lequel il enquête Yohan avec son équipe anti-criminalité de la Police Judiciaire de Grenoble, même si le crime a été commis en zone rurale, au pied des Alpes, corollaire étouffant dans une contexte de petites violences banales, dans lequel une belle, jeune et enthousiaste fille comme Clara en agaçait beaucoup, même lorsqu’elle était morte. Juste pour être une femme et mener une vie libre.
Comme le dit sa meilleure amie, « elle a été tuée parce qu’elle était une femme», alors qu’il s’insurge contre une enquête dans laquelle il semble qu’en cours d’enquête il soit la victime, pas un tueur potentiel qui au fil des jours semble de plus en plus difficile à retrouver. Ou plutôt, il y a plusieurs hommes qui auraient pu le faire, chacun avec une motivation apparemment risible, mais peut-être suffisante en une contexte dans lequel la violence masculine est ancrée dans la dynamique sociale quotidienne. Là comme ailleurs, désormais indiscernable en tant que telle, inscrite dans le patrimoine génétique de nos sociétés, toujours prête à exploser, comme si la difficulté à trouver le coupable était liée au fait que « ce sont tous les hommes qui l’ont tuée ».
L’enquête se déroule dans un environnement totalement masculin, entre camaraderie virile et engagement sincère dans son travail. Si un dicton environnemental suggère que « tout enquêteur tombe tôt ou tard sur un crime qu’il ne peut résoudre et qui le hante», pour Yohan il s’agit du meurtre de Clara. Dominique Moll il reconstitue avec beaucoup d’attention les étapes ordinaires des enquêtes, dépouillées de leur travail quotidien dans sa bureaucratie très éloignée de l’héroïsme du détective véhiculé depuis toujours par la littérature et le cinéma. Il faut de la patience, une gestion de la colère déclenchée par une impuissance de plus en plus évidente, avec quelques débordements comme celui de l’impulsif Marceau (Bouli Lanners), le plus fidèle collaborateur de Yohan (Bastien Bouillon), qui explose avec un « combattons le mal en écrivant des rapports ».
Ce sont des vies où les quelques heures en dehors des heures de bureau sont contaminées par l’atmosphère malsaine des fantômes de ceux qui vivent avec le mal. Apparemment, Yohan semble gérer la pression sans explosions, ne se défoulant qu’en parcourant des kilomètres nocturnes à vélo, quoique dans un vélodrome, « comme un hamster en cage ». Un point de vue masculin qui prend conscience de sa partialité par une absence cruciale, celle de la victime, et la présence de trois autres femmes qui alimentent l’enquête entièrement masculine de Yohan et de son équipe. Une tension féministe, dans ce polar, qui émerge naturellement et sans recherche d’étiquettes idéologiques ou de manifestes.
La nuit du 12 c’est un voyage étouffé et retenu d’une humanité désarmante, capable de rendre l’obsession emprisonnée au plus profond de l’âme de son protagoniste profondément universelle et passionnante. Un grand film, sobre et puissant, aux interprétations impeccables. Une histoire qui prend acte d’un équilibre impossible à rétablir, celui d’un monde peuplé de victimes sans culpabilité, d’obsessions sans issue. La conscience de la faillibilité humaine, sans se donner de réponses simples ni d’alibi, mais en cultivant le doute et la persévérance, voire l’obsession, comme espoir pour l’avenir.