Egalement en compétition au Festival du film de Rome, Raymond & Ray, qui arrivera sur Apple TV+ le 21 octobre. L’avis de Daniela Catelli.
Le décès d’un parent est l’occasion pour un enfant majeur de se réconcilier avec l’héritage qu’il a reçu, l’influence, les enseignements, les incompréhensions et les ressentiments liés à la figure disparue. Une fois le défunt enterré, doit s’installer cette paix qui pour beaucoup est difficile à trouver, car les blessures, même involontaires, qui sont infligées aux enfants dans l’estime de soi, pendant les années fondamentales de la formation de l’individu, sont les plus difficile à guérir. Cela se produit déjà chez les parents présents et attentifs, encore moins dans les familles les plus désastreuses, où le soulagement est remplacé par la colère du souvenir. C’est l’objet du film de Rodrigo García Raymond et Ray, où deux demi-frères qui ne se sont pas vus depuis un certain temps sont convoqués après la mort de leur père pour ses obsèques. Le premier est calme et rationnel, il a souffert pour ce terrible parent, qui les a humiliés de toutes les manières possibles, mais il veut être là à tout prix, pour finir la partie. Le second, ancien toxicomane, veuf et prometteur jazzman qui a abandonné la musique et apparemment la vie, est plus cynique mais se laisse convaincre d’accompagner son frère dont ils ont retiré la licence.
Ainsi commence un voyage qui part de la découverte des nombreuses choses qu’ils ne savaient pas sur ce père pesant, depuis son dernier et plus jeune amant, jusqu’aux frères dont ils ignoraient l’existence, jusqu’à la présence dans sa vie d’un révérend de couleur, présence inhabituelle pour un homme qui s’était toujours comporté comme un athée mais qui dans sa soif boulimique d’expérience avait voulu tout essayer, y compris les religions. Violent avec ses enfants non seulement dans les moments où il était en proie à l’alcool, mais aussi psychologiquement, à tel point qu’il les a appelés par le même nom et les a confondus exprès, dans son testament cet homme terrible leur demande de creuser sa tombe, littéralement (le fameux « Six pieds sous terre », dont le réalisateur a réalisé quelques épisodes de la série), et c’est dans ces circonstances que l’on retrouve un groupe de personnages variés, dans un crescendo de tension qui finit par exaspérer les esprits, lors une journée pleine de rebondissements. .
Plus peut-être qu’en Amérique, les funérailles en Amérique, du moins telles qu’on les voit au cinéma et à la télévision, ont une chorégraphie et un rituel qui se prêtent aux événements les plus étranges, mais, comme partout, l’élaboration du deuil, même quand ce n’est pas émotionnellement impliqué, c’est mentalement et physiquement épuisant pour les survivants. Comme dans presque toutes les comédies noires, dans Raymond et Ray on rit aussi, mais c’est un rire amer, parce que Garcíaqui est aussi l’auteur du scénario, n’épargne rien à ses personnages, et les révélations se poursuivent jusqu’au bout, changeant peut-être pour toujours la vie de chacun d’eux. Les femmes sont toujours le point fixe et le ciment de la vie des hommes dont elles sont les victimes : on ne sait rien des mères souvent citées par Raymond et Ray, mais on connaît Lucìa, une femme sans beaucoup de superstructures mentales, qui a rencontré leur père quand il avait 67 ans et lui a donné un fils, et l’infirmière qui l’a soutenu dans ses derniers jours et qui semble être capable de pénétrer l’armure mentale des deux hommes.
Car au final tout le monde, d’une personne, n’en connaît qu’une partie, la portion de temps qu’ils ont passé ensemble et même les parents, bons ou mauvais, restent souvent un mystère pour leurs enfants. Magnifiquement écrit et encore mieux interprété par Ethan Hawke (surtout) éd Ewan McGregorpendant Maribel Verdu semble désinvolte mais un peu confuse lors de son premier test d’anglais, Raymond et Ray c’est un de ces films qui vaut le détour, malgré ses imperfections. On aurait préféré une conclusion un peu plus sèche, après la longue journée de l’enterrement, sans trop s’éterniser sur le sous-final qui finit par diluer les nombreuses idées suggérées et pas totalement explorées. A la fin on se demande si Rodrigo García n’a pas décidé, peut-être inconsciemment, d’aborder ce thème en fils de père pas aussi terrible que celui du film mais décidément encombrant comme Gabriel Garcia Marquez (lui aussi a eu une fille hors mariage et un secret longtemps gardé), et si ce que Raymond et Ray font à l’enterrement n’est pas le reflet de ses sentiments. Parce que dans ces moments-là l’amour et la haine, la douleur et la souffrance deviennent indiscernables, accentués par la présence de la mort qui annule à jamais notre possibilité de dire ce que nous ressentons à ceux qui les ont suscités.