un détail (ou deux, ou trois) juste pour te faire paraître

La nouvelle venue Emilie Blichfeldt prend Cendrillon, change de perspective et la transforme en une horreur corporelle pleine d'humour très noir qui se concentre (et pas seulement) sur l'obsession de la beauté. La critique de The Ugly Stepsister de Federico Gironi.

À part des souris gentilles et serviables, de bonnes fées, des citrouilles qui se transforment en carrosses et des pantoufles de verre : Cendrillon, oui, mais la version Disney est la chose la plus éloignée à laquelle on puisse penser. Cendrillon oui, mais dans la version sombre et brutale des frères Grimm, si possible.
C'est le point de départ d'Emilie Blichfeldt, une recrue norvégienne de 34 ans. De là, le renversement de perspective, avec l'un des – ou plutôt, demi-soeur envieuse qui devient le protagoniste. La demi-soeur qui, consciente de son infériorité physique par rapport à Cendrillon selon les canons de beauté dominants, alors comme aujourd'hui, se soumet à d'indicibles tortures, poussée par sa mère/belle-mère impitoyable pour enfin être belle elle aussi et épouser le prince.
Ce faisant, évidemment, cela devient immédiatement une horreur corporelle : pas de transformations dégoûtantes à la manière cronenbergienne-carpenthérienne, mais des ténias avalés pour perdre du poids comme Maria Callas (dit-on), et la cruauté froide et brutale (très à la Cronenberg, avec une citation des Inséparables) d'une proto-chirurgie cosmétique.

Le thème, The Substance nous l'a appris, est évidemment dans l'air, mais attention : car si Coralie Fargeat rejette toute la faute sur un regard masculin crasseux et introjecté, la Norvégienne raconte ici un monde et des obsessions qui vivent à l'intérieur du féminin de manière indépendante et parallèle à d'éventuelles influences masculines.
Parce qu'Agnès (l'actuelle Cendrillon, interprétée par l'une des actrices au nom le plus cool du monde, Thea Sofie Loch Næss) est une figure quelque peu haineuse dans l'arrogance hautaine qui vient de la conscience d'être belle ; car la mère/belle-mère Rebekka (belle aussi, évidemment : il s'agit de la splendide quinquagénaire Ane Dahl Torp) est une ascension sociale impitoyable qui n'hésite pas à user de son attrait pour gravir la Capitale et satisfaire son plaisir, même au prix de voler les prétendants à sa fille. Et parce qu'au final la pauvre Elvira, la demi-soeur protagoniste qui a les yeux écarquillés d'une très bonne Lea Myren, est une victime : d'elle-même, de son désir, des modèles qu'elle voit autour d'elle. L'autre demi-sœur, Alma (Flo Fagerli), est sauvée, personnage apparemment plus que secondaire, mais finalement fondamental pour indiquer la possibilité d'autres chemins.

C'est aussi parce qu'elle est en quelque sorte prisonnière et victime d'un monde, peut-être, qu'Emilie Blichfeldt a fait de The Ugly Stepsister un film qui, non seulement à cause de quelques anachronismes évidents, semble clairement se tourner vers Marie Antoinette de Sofia Coppola (même si la cinématographie est souvent plus proche de celle d'un autre film américain sous-estimé, The Beguiled). À ces influences s'ajoutent celles d'une certaine horreur gothique de Hammer, des références aux romans policiers italiens soulignés par l'utilisation sporadique mais significative de zooms rapides, des détails bruts du cinéma queer, des dérives de vapowave et même des citations de Busby Berkeley : le tout ensemble et le tout parfaitement mélangé.

Ce n'est peut-être pas effrayant au sens traditionnel mais il sait certainement être délicieusement dégoûtant, The Ugly Stepsister, et souvent aussi très drôle, grâce à une veine claire et puissante d'humour noir, très noir, qui explose dans la scène – je ne donnerai pas de spoilers – de l'amputation volontaire du pied, l'un des sacrifices extrêmes consentis par Elvira pour tenter d'être belle, choisie, remarquée.
Ici, remarqué. C'est peut-être l'origine géographique, peut-être, mais il me semble que bien plus qu'avec The Substance, The Ugly Stepsister a beaucoup de points communs avec Sick of Myself de Kristoffer Borgli. Parce qu'en fin de compte, Elvira et Signe sont toutes deux victimes du vrai, omniprésent (et maintenant aussi gonflé que le proverbial Pizza à la boue du Cameroun: c'est une citation, je dis ça pour éviter des accusations déplacées) monnaie du présent : attention.