Le beau documentaire Ville natale : Polanski et Horowitz, consacré à deux amis d’enfance extraordinaires et présenté au Festival du film de Rome, arrivera au cinéma avec le nouveau film de Roman Polanski. L’avis de Daniela Catelli.
Deux amis d’enfance âgés, qui ne prouvent absolument pas leur âge (l’un 89, l’autre 83) se rencontrent dans un aéroport, s’enlacent affectueusement et roulent en voiture une soixantaine d’années après leur dernière visite, à une époque de leur ville natale, Cracovie, en Pologne, où ils ont passé leur enfance et une partie de leur jeunesse au milieu d’événements historiques dramatiques : la Seconde Guerre mondiale, l’Holocauste, le régime communiste d’après-guerre. Mais ces deux gentilshommes pleins d’entrain qui viennent respectivement de Paris et de New York, où ils habitent depuis un certain temps, ne sont pas n’importe lesquels : l’un est Roman Polanskyl’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma et l’autre est Ryszard Horowitz, extraordinaire artiste photographe de renommée mondiale. Pour les convaincre de faire cet incroyable voyage dans le passé – et nous leur en sommes reconnaissants, ainsi qu’à Luca Barbareschil’un des producteurs – c’étaient deux jeunes cinéastes de leurs compatriotes, Mateusz Kudla Et Anna Kokoszka – Romer. Ceux qui ont eu la chance d’entendre le réalisateur parler en direct, ont soit lu son autobiographie, soit vu le film romain Polański: Un Film Mémoirede 2012, sait que narrateur hypnotique sait être, connaît l’ironie, l’esprit et parfois la férocité avec lesquelles il fait certaines observations, la mémoire extraordinaire capable de reconstituer dans les moindres détails ce qui s’est passé des décennies auparavant.
Nous ne savions pas à la place Horowitzqui partagea avec lui de longs et importants traits de sa vie, avant (et après) les deux amis furent dramatiquement divisés par la persécution nazie des Juifs : le jeune Polanski, sauvé par son père de la déportation du ghetto de Varsovie (du malheureusement mère du réalisateur en fut la victime), laissé seul puis hébergé par une généreuse famille paysanne de la campagne polonaise, et le petit Horowitz, issu d’une famille bourgeoise et gâté par ses parents, se retrouva avec eux à Auschwitz, sauvé de la » liste » de Oskar Schindler avec sa famille, qui le retrouvera dans un orphelinat après la guerre, grâce à un film d’actualités (il est de ceux qui rendent hommage au tombeau du Juste dans le final de la liste de Schindler). Ville natale : Polanski et Horowitz est un film sur le souvenir et la mémoire, sur la façon dont les lieux et les circonstances changent même radicalement mais le regard de ceux qui y ont vécu peut reconstruire des lieux et des sensations comme si c’était hier.
Le parcours des deux amis démarre du cimetière où sont enterrés leurs parents et où le réalisateur, qui avoue ne pas aimer ces lieux (ainsi que, athée déclaré, affirme son aversion pour les églises et les synagogues) raconte une anecdote cocasse liées aux funérailles du père, qui a survécu à Mauthausen et est décédé en 1983, auquel il était très attaché. Les deux amis rient ensemble, quand Polanski évoque les problèmes avec les fossoyeurs ivres, le retard de l’enterrement et la décision de porter le cercueil avec des collègues cinéastes, avec des conséquences « physiques » prévisibles pour quelqu’un comme lui, de petite taille, qui choisit rester devant tandis que derrière il y a des individus plus grands. Ce n’est pas une question d’irrespect pour la mort, mais d’affection pour la mémoire vivante de la personne, dont on se souvient du grand sens de l’humour. Sûr dans ses pas comme s’il était parti avant-hier, Polanski est le Virgile de ce voyagequ’Horowitz commente parfois hors caméra : il reconstitue les frontières du ghetto, la porte d’entrée, les barbelés, les souvenirs de la surpopulation croissante, les fuites pour acheter des timbres, le meurtre impitoyable d’une femme âgée par un soldat nazi qui il est témoin terrifié.
Varsovie n’a pas été bombardée et les maisons sont toujours là, presque intactes, avec des cours, des écoles, le cinéma (disparu) où il aimait voir des films. Parfois en désaccord sur un souvenir particulier, Horowitz n’a qu’à faire presque sur l’épaule de Polanski, esquissant face à la sécurité de son ami. Il s’agit d’une relation de grande affection et d’admiration mutuelle et les réalisateurs parviennent à le montrer en les laissant libres, en gardant toujours un pas de retard ou d’avance sur eux, se faisant oublier (sauf quand Polanski, qui n’arrive jamais à sortir du rôle, les gronde parce qu’ils reprennent le rôle sous un mauvais angle). Il y a de nombreux moments émouvants dans le film, de la visite (évidée, le seul moment où l’on voit vraiment Polanski en crise) à la maison de la grand-mère, à celle de l’appartement Horowitz, où beaucoup de choses ont changé, à la découverte du petit-fils de ceux qui a hébergé et caché le réalisateur et sa reconnaissance parmi les Justes d’Israël. Et il y en a autant occasions de sourire et de rire avec ces deux êtres extraordinaires avec l’enthousiasme de deux garçons jamais âgés, qui se mêlent aux gens de la place pour acheter des saucisses et de la bière (avec le vendeur sans méfiance disant à Polanski de le mettre dans un film américain, une ironie involontaire du destin) ou blague sur la façon dont Cracovie ressemble à Disneyland aujourd’hui. Même si, comme on dit, l’histoire se répète périodiquement parce que l’homme n’apprend rien du passé, leur vie et leur extraordinaire vitalité sont la meilleure réponse à la haine aveugle de ceux qui voulaient les anéantir. Ville natale : Polanski et Horowitz c’est un vrai cadeau pour les téléspectateurs, qui auront l’occasion de le voir au cinéma, pour accompagner la sortie du nouveau film de Roman Polanski.