Deux garçons en voyage à travers l’Amérique profonde, une histoire d’amour et de cannibales, Bones and all marque le retour de Luca Guadagnino dans un film présenté en compétition à Venise. L’avis de Mauro Donzelli.
Immobilité et évasion. Deux tensions constantes de la nature humaine, deux inquiétudes qui distinguent le chemin de Maren et Lee, et la même Luca Guadagninoqui encadre une copie de Les Dublinois de Joyce, un texte clé sur le sujet. Si dans Appelez-moi par votre nom il a raconté la suspension d’un été avant que tout n’arrive ici l’évasion est inhérente à la nature des personnes marginalisées et marginalisées de ces deux jeunes hommes. L’errance de Maren est due à une condition qui lui est propre : elle est cannibale. Elle est la protagoniste et l’âme battante de Os et toutadaptation du roman Jusqu’à l’os de Camille De Angelis.
Lorsqu’elle est abandonnée par son père, elle entame un voyage à la recherche de sa mère disparue depuis de nombreuses années, mais surtout d’une place dans le monde, de l’amour, d’une communauté qui puisse en quelque sorte la faire se sentir moins différente. Celle qui « se croyait seule » découvrira plutôt que leur appétit démesuré, leur addiction n’est pas une condition si rare. L’éducation et les rencontres en cours de route l’aideront également à « sentir » ses semblables. Surtout, il rencontrera Lee, quelqu’un comme elle, avec un peu plus d’expérience et la même peur. Deux vagabonds en fuite. Quelle est la place de la culpabilité pour ceux qui sont contraints de se comporter ainsi par leur nature ?
Une histoire de passage à l’âge adulte non traditionnelle uniquement dans les locaux, alors que l’esthétique est plutôt classique, elle s’écarte du genre, prend pour acquis le sort de la condition de ses protagonistes, dans une immersion viscérale totale dans le ventre des États-Unis, dans le Midwest rural des années 80 et dans l’imaginaire sur la route. L’appétit sauvage, raconté comme une forme d’addiction, n’est qu’une des pulsions de Maren, aux prises avec une série de premières fois, rites de passage communs à tout jeune, poursuivant une liberté par l’amour et le partage des « liens du sang ». Ce sont des cannibales « pour de bon », peut-être aidés dès leur plus jeune âge ils pensent pouvoir maîtriser leurs instincts, ils ne sont pas comme ceux qui aiment collectionner « des os et tout », des victimes complètement dépouillées. Une nouvelle première fois.
Une opération qui évite le risque d’habitude cérébrale de l’auteur en quête d’hybridations esthétiques grâce à capacité à faire le bord de l’abîme qui accompagne la condition des deux. Un vertige qui déstabilise et réduit drastiquement la distance entre nous spectateurs et deux cannibales, envers qui nous nous passionnons et finalement nous identifions aussi. Le destin inéluctable qui les attend est excellemment rendu par les interprètes, à commencer par un fantastique Taylor Russel Et Timothée Chalametmais aussi par la figure perverse d’une sorte de père putatif auto-imposé : Marc Rylance. Pour les accompagner, la musique romantique et évocatrice de Trent Reznor Et Atticus Rosset un soin remarquable dans le choix des lieux et dans la construction des intérieurs, des espaces dans lesquels contenir leur nature ou cesser d’espérer être chez soi pour une fois.