Après la parenthèse très réussie de Poor Creatures !, le Grec revient à son co-scénariste habituel, et au style qui l'a rendu célèbre, avec un film d'anthologie sur la morosité habituelle de l'existence. La critique de Kind of Kindness de Federico Gironi.
Le nouveau film du Grec Yorgos Lanthimosd'une durée de deux heures et quarante-cinq minutes, c'est en fait trois films en un. Trois moyens métrages, trois histoires indépendantes, unies par le fait qu'elles sont toutes interprétées par les mêmes acteurs (Emma Pierre, Jesse Plemons, Willem Dafoé, Marguerite Qualley, Hong Chau Et Mamoudou Athié), d'une sorte de personnage sans voix ni nom (il n'y a que les initiales, RMF) qui apparaît à des titres divers dans les trois segments, et d'une idée commune.
Dans le premier épisode de Sortes de gentillessePlemons est un homme qui, en échange d'avantages matériels, a accepté que chaque détail de sa vie soit décidé par son employeur méphistophélien (Dafoe), et sa vie entre en crise lorsque, pour une fois, il s'oppose à une demande, et tout autour de lui échoue et s'effondre.
Dans le deuxième, Plemons est plutôt un homme convaincu que sa femme perdue en mer et revenue chez elle (Stone), qui a peut-être aussi survécu grâce à un acte de cannibalisme, est en réalité une copie, un imposteur.
Dans le troisième, Stone et Plemons sont deux adeptes d'une étrange secte basée sur les larmes et le sexe, à la recherche d'une jeune femme qui, selon leurs gourous, possède des pouvoirs thaumaturgiques.
Mettez sur papier, les contes auraient été tout à fait remarquables, certainement très intéressant (le premier surtout). Ils m'ont rappelé quelques courtes œuvres de Ottessa Moshfeghavant de découvrir que le grec s'apprête à faire une adaptation de « Mon année de repos et d'oubli ». Et pourtant, puisque le cinéma n'est pas seulement texte et intrigue, mais aussi image, et Lanthimos il le sait trop bien, le résultat que vous voyez à l'écran vous laisse parfois perplexe, souvent abasourdi, souvent un peu ennuyé, parfois un peu irrité.
Oubliez les Pauvres Créatures !, mais aussi La Favorite.
Ici Lanthimos il revient avec les deux chaussures au style qui lui est le plus propre et qui l'a rendu célèbre. Celle de films comme : Dent de chien, Le homard, Le sacrifice du cerf sacré. Ce n'est pas un hasard s'ils sont tous scénarisés, comme dans ce cas, et non dans celui de ses deux derniers films, avec la confiance Efthimis Filippou.
Et donc : donc, voici le Lanthimos glacial et lointain, cynique et sadique, au ton moqueur et géométrique dans la mise en scène. Le Lanthimos qui abuse des accords de piano atroces (très aigus ou très graves) pour souligner la tension réelle ou présumée, qui se délecte des provocations souvent basses (qui semblent inouïes dans un monde de peureux), qui caresse les personnages, et le spectateurs, avec un sarcasme souvent méprisant et toujours cruel.
Rattrapé par son obsession de prouver qu'il est le meilleur et le plus intelligent de tous, Lanthimos a tendance à en faire trop, se réjouir de ses incontestables capacités visuelles, devenir libre dans ce qu'il raconte et dans la manière dont il le montre. Souvent, malheureusement, au détriment de la profondeur de ce qu'il entend raconter.
Lanthimos se contrôle dans le premier segment – qui est aussi le plus intéressant thématiquement – mais progressivement, dans les deux suivants, il se détend et lâche prise. Ceux qui en sont fans – fans de la surface astucieuse et tendance qu'il peut garantir – l'apprécieront certainement, d'autres un peu moins.
Ce qui semble surtout manquer dans Kind of Kindness, c'est un fil conducteur un peu moins banal que celui suggéré par le titre., d'actes de bienveillance et de générosité qui sont au contraire des violences contre autrui ou contre soi-même. Quelque chose qui est plus que l'envie habituelle, sombre et suffisante, de parler de l'abîme et de la banalité des existences sans sens ni direction, du malheur généralisé qui cherche à endiguer le désespoir en s'accrochant au matériel, au trivial, à la folie ou à la foi aveugle et irrationnelle.
Puis bien sûr, Lanthimos trouve par moments, comme cela arrive souvent, quelques moments de bon cinéma, des images provocatrices et inquiétantes, des éclairs narratifs intéressants. Mais c’est quelque chose d’épisodique, d’isolé, incapable de se relier et donc de devenir une structure porteuse solide et fascinante.