Il était temps

Alessandro Aronadio écrit et réalise l’adaptation du film australien Long Story Short, plaçant au centre de l’histoire et du raisonnement la véritable monnaie précieuse de notre époque : le temps. La critique de Federico Gironi sur le film Il était temps.

Que le temps est « la chose la plus précieuse qu’un homme puisse dépenser », disait déjà un philosophe qui étudia Aristote qui s’appelait Théophraste. Mais si c’était le cas il y a plus de 2300 ans, encore moins aujourd’hui, un aujourd’hui où les rythmes de la vie (et du travail, de l’amour et de tout) sont infiniment plus compressés et frénétiques qu’alors.
D’autre part, il y a déjà une dizaine d’années André Nicol dirigé À l’heureune histoire dystopique se déroulant en 2169 dans laquelle le temps se transforme littéralement en monnaie : les riches l’ont pour mille vies, les pauvres l’oublient.
En conclusion C’était l’heurequi est le nouveau film de Alexandre Aronadiocelui des meilleurs Oreilles et le moins réussi je suis iciest plus proche, paradoxalement, de À l’heure qui ne pas je recommence, pour ne citer que les films les plus cités et les plus citables sur le temps. Philosophiquement, dans un sens, certainement pas dans l’esthétique et le genre.

Le jus du discours, en C’était l’heureest-ce: il y a Edouard Léo qui fête ses quarante ans, est fêté par sa compagne Barbara Ronchimais on s’aperçoit vite que, si les deux s’aiment, leur relation est mise à rude épreuve par le fait que Leo est quelqu’un qui est toujours pressé, qui pousse au travail (« parce qu’à cinquante je gagne mon temps » , dit-il), qui remplit sa vie d’engagements et ne savoure jamais vraiment rien, pas même peut-être sa fête d’anniversaire, certainement pas la crêpe qu’on lui prépare pour le petit déjeuner, qu’il avale en se brûlant la langue et le palais.
Puis Léo se couche le soir, se réveille le matin et se retrouve le jour de son anniversaire.
Comme le jour de la marmotte ? Oui et non. Parce que le jour est le même, mais l’année est plus tard. Il retourne se coucher et boum. Une année de plus. Il s’endort épuisé par une fille nouveau-née (Galadriel, le nom) qui se retrouve dans ses bras et boum : un an de plus. Et ainsi de suite, avec des sauts progressifs qui n’auront même plus besoin de sommeil pour s’accomplir, mais seulement des choix de montage astucieux faits par Robert DiTannacollaborateur historique d’Aronadio, et qui amènera le protagoniste de 2010 de ses 40 ans à 2019.

Le vrai point, cependant, est que si notre protagoniste est perplexe et confus, face aux changements même radicaux auxquels il est confronté dans le saut d’une année à l’autre, qui pour lui et pour nous est au lieu de quelques minutes, perplexe et confus par ses réactions sont aussi ceux qui sont devant lui.
Parce que si Leo découvre qu’il a une fille, et qu’ensuite il vit une crise conjugale, qu’il a un amant, qu’il s’est séparé, que Ronchi a Raz Degan et lui, pendant un moment, avec Francesca Cavallinet que dans tout cela, il a atteint le sommet de l’entreprise dans laquelle il travaille, il découvre également que tout cela s’est produit parce que dans le reste des jours de l’année, il a vécu, il s’est comporté d’une manière complètement différente de la façon dont il se comporte en les jours de son anniversaire, ou dans ceux qu’il vit et nous voit.
Et les autres ne peuvent pas expliquer cette schizophrénie, à tel point que Ronchi parle de la « crise habituelle des anniversaires ».

Maintenant.
Tout cela est clairement une métaphore. Une façon de dire que les illuminations sporadiques que nous pouvons tous avoir sont souvent en contradiction profonde avec les choix que nous faisons consciemment jour après jour. Et la morale – pourquoi la morale, le Message, qu’on le veuille ou non, est là – est clair : en poursuivant ce dont nous pensons avoir besoin, ou ce que nous pensons vouloir donner aux autres, nous perdons de vue les choses importantes : l’amour, les enfants, les amis. Peut-être un parent qui est à l’origine de nos distorsions, comme le sont souvent les parents.
Et d’ailleurs aussi François Petitdans le dernier, beau « La belle confusion »dans lequel il parle de Visconti et de Fellini, del Ocelot et de Huit heures et demiedit qu’essentiellement les gens sont divisés entre ceux qui font des choix favorisant l’amour et ceux qui privilégient le travail.

On peut être d’accord ou pas avec le message du film d’Aronadio – je pense qu’en général on devrait l’être – mais il est indéniable qu’Era ora porte son discours avec cohérencechoisissant la solution la moins facile au dilemme de Léo, car – histoire fantastique ou pas – le temps perdu ne se rattrape plus jamais, que ce soit en amour ou au travail.
Tout comme je crois qu’il est indéniable que, dans les limites d’un montage standard, et d’un film où l’écriture et les personnages (et les interprétations) précèdent la mise en scène, Aronadio semble sans cesse chercher, jusque dans la forme et le rythme de son film , cette friction paradoxale qui est au centre de l’histoire qu’elle raconte, celle qui fait des étincelles entre l’envie de courir et de dévorer chaque instant et chaque possibilité, et qu’au lieu de s’arrêter, de profiter de l’instant, de l’ici et maintenant, de cette oisiveté que, s’il est bien fait, comme le savent les experts de l’industrie, parmi lesquels j’ai la présomption de me compter, cela signifie aussi faire tout ce qui est important.
Et les étincelles qui, ce faisant, sortent du film Aronadiumgrâce aussi à ses deux protagonistes (mention obligatoire aussi pour Mario Sguéglial’ami intime du personnage de Leo), sont ceux de des émotions réelles mais jamais effrontées, jamais de chantage, mais sincères et accompagnées d’une ironie constante, et souvent à juste titre aigres.