Après l'avant-première au Festival du film de Rome, arrive au cinéma le 17 octobre Per te, un film dramatique d'Alessandro Aronadio avec Edoardo Leo et Teresa Saponangelo inspiré de l'histoire vraie de Mattia Piccoli et de son père. La critique de Daniela Catelli.
Pour un être humain, la mémoire est la chose la plus importante : elle est la gardienne des affections, des souvenirs et des rencontres qui nous ont façonnés, pour le meilleur ou pour le pire. La perdre est dévastatrice pour tout le monde, pour ceux qui savent ce qui va arriver et pour ceux qui ont des liens affectifs avec la personne en question. Per te d'Alessandro Aronadio, produit et interprété par Edoardo Leo, qui s'investit à fond dans le rôle, s'inspire de l'histoire d'un jeune père, Paolo, atteint d'une maladie d'Alzheimer précoce peu après l'âge de 40 ans, et de sa famille, avec la relation particulière qu'il entretient avec son fils Mattia, encore jeune, qui l'aide dans la vie de tous les jours au point de se voir décerner le titre de Porte-drapeau de la République en 2021 par le Président. Mattarelle. Pour réaliser un film de fiction sur un tel sujet, qui touche le public le plus large possible, il est nécessaire de faire des choix narratifs congrus et courageux, qui d'une part maintiennent le respect des personnes réelles impliquées et d'autre part donnent au réalisateur et à ses interprètes la liberté nécessaire pour raconter une histoire qui concerne beaucoup, malgré son apparente exception.
Les films sur les maladies dégénératives ou incurables sont une pente glissante : ils peuvent être rhétoriques et faire du chantage à leur manière, laver la conscience du spectateur le temps d'un visionnage ou l'effrayer au point d'être rejeté, mais lorsqu'ils sont bien réalisés et avec un choix stylistique bien précis, ce risque n'est pas couru. Alessandro Aronadio, avec ses co-auteurs Ivano Fachin et Renato Sannio, part de la joie de l'amour et du souvenir (et de soirées qui cachent un désir de normalité désormais impossible), en accompagnant le film d'une belle bande originale des années 1920, dans un décor qui fait référence aux chefs-d'œuvre de Buster Keaton, un homme à qui arrivent des catastrophes indicibles mais qui reste imperturbable face à les tragédies de la vie. C'est sa femme Michela qui a transmis la passion de ce cinéma à Mattia, tandis que Paolo, avant de révéler à son fils ce qui se passe après une période aliénante pour le garçon, partage avec lui la vision d'un de ses films préférés, Rocky. Keaton avec ses acrobaties téméraires et le boxeur qui reste debout même s'il perd sont deux métaphores évidentes de l'imprévisibilité de la vie, mais aussi les deux faces d'un portrait de famille interpénétré, uni par l'amour, un sentiment d'ironie et une pincée de folie qu'au départ, après le diagnostic, le couple tente de recréer.
À un moment donné, ce voyage plein d'accidents, mais dont la destination est malheureusement très claire, se transforme en un véritable road movie, lorsque Paolo emmène son fils rendre visite à son oncle (un gigantesque Giorgio Montanini) avec qui il n'a plus de relation depuis des années, pour réparer leur lien troublé au nom de souvenirs communs. Le frère est aussi prisonnier d’une mémoire immuable et intacte, celle de l’enfance suite à la perte de sa mère d’abord puis de ses deux parents. Edoardo Leo, disions-nous, démontre qu'il a des talents d'acteur très souples et sensibles, non seulement lorsqu'il fait le fou mais surtout dans des scènes où son regard et sa posture expriment toute la dévastation d'une maladie qui ne laisse aucune issue. Teresa Saponangelo est l'une des actrices les plus naturelles et sensibles de notre cinéma et sa Michela vole notre âme : un exemple pour son mari et son fils, au lieu de céder au désespoir elle essaie de vivre le plus possible le quotidien, et même dans la souffrance elle ne perd jamais son sourire et son amour pour l'homme qu'elle ne cessera d'aimer même si tôt ou tard seule une coquille de lui restera perdue dans son propre monde qui la coupera pour toujours, son fils.
Une bonne partie du film se concentre sur la relation avec Mattia (le spontané et expressif Javier Francesco Leoni), car – comme cela s'est produit dans 18 Cadeaux, également inspiré d'une histoire vraie – le père sait que le temps passé avec lui est limité et essaie de compenser son absence (même si elle n'est pas physique dans ce cas mais mentale) en donnant à son fils le souvenir d'un père aimant et présent. Pour vous, ce n'est pas un film qui masque le drame d'un terrible diagnostic (il y a des scènes qui donnent des frissons et une qui semble avoir été filmée à l'insu des passants) et il n'offre pas d'espoirs illusoires, mais il rappelle à tous que l'amour donné n'est jamais perdu et que le temps dont nous disposons, et nous ne savons pas combien il est, nous devons le consacrer à ce qui compte vraiment dans la vie, pour que quelqu'un puisse se souvenir de nous, quel que soit notre destin.