Différents niveaux de lecture s'entremêlent dans Making of de Cedric Khan, une comédie se déroulant sur le tournage d'un film politique. La critique de Daniela Catelli.
Un film, pour le spectateur qui le voit au cinéma, est une œuvre d'illusion, qui apparaît devant lui presque par magie, mais le processus de création de ce qui au cinéma nous fait rêver, nous enthousiasmer (ou même nous ennuyer ou nous mettre en colère) est fatiguant, long et souvent plein de difficultés matérielles et psychologiques. Évidemment, quand on pense à des films qui nous racontent la phase de tournage sur le plateau, notre pensée se porte immédiatement vers Effet nuitune référence incontournable du cinéma sur le cinéma. Mais Cédric Khanavec Réalisation deregarde aussi – ouvertement – les films de Nanni Morettiplaçant au centre de cette œuvre il y a une histoire politique, qui parle (pas en musique) d'ouvriers en révolte, d'occupation d'une usine et d'une tentative d'autogestion. Un cinéma politique qui a aujourd'hui encore plus de mal à trouver des financements, parce que les fins heureuses sont désormais exigées par les financiers, parce que le public l'attend et que les films dits d'engagement civique n'échappent pas au climat dans lequel nous vivons, aussi dur et pure pourrait en être l'auteur. Cédric Khan il a commencé sa profession à partir de zéro, en travaillant comme stagiaire sur le tournage de films d'autrui et a accumulé suffisamment d'expérience dans tous les départements pour pouvoir raconter une comédie humaine dans le microcosme du décor, dans laquelle toutes les relations, les problèmes , les tensions s’amplifient et les tensions risquent d’exploser dès les premiers problèmes économiques. Parce que, même si l’on a les meilleures intentions, même révolutionnaires, contrairement à d’autres œuvres de l’ingéniosité humaine, réaliser un film demande de l’argent, et beaucoup d’argent. Bref, l'idéal doit toujours avoir affaire à la réalité, ou plutôt au capital.
Dans le film de Khan, le stagiaire (le célèbre esclave de Borisvéritable passionné et donc disposé à se laisser maltraiter gratuitement comme la dernière des recrues), après avoir approché le réalisateur, Simon, lui apportant son propre scénario, il est soudain promu réalisateur des coulisses du film, lorsque le Ce dernier décide, sans plus attendre, que le jeune opérateur qui était en charge de la tâche et qui est apparu une fois sur le terrain en ruinant le tir, est un imbécile recommandé. Le premier jour de tournage, avec une scène de foule compliquée à réaliser, il s'avère que les investisseurs ont lu et approuvé une autre fin, à l'insu du réalisateur, qui ne veut pas céder sur ce point, et donc ils se retirer, tandis que le producteur promet de trouver d'autres financements pendant que les travaux continuent laborieusement. Joseph (Stéphane Crépon), le jeune homme promu opérateur, quitte son emploi dans la pizzeria familiale pour se consacrer entièrement à sa passion et ne se limite pas à réaliser un making of, à interviewer les responsables des différents départements et à montrer les différentes prises, mais raconte au histoire de la crise et de la solitude du réalisateur, même parmi tant de monde. Le tournage de l'usine se déroule, dans l'incertitude la plus totale, même si le rôle principal du premier acteur (voulant poursuivre la comparaison borisienne, un Stanis La Rochelle plus doué) le met en conflit avec les « ouvriers » et les autres membres de l'usine. l'équipage, reflétant ce qui se passe dans l'histoire fictive. Et il y a les amours qui naissent, les déceptions, les disputes et la tentation de Simon de tout abandonner, car la drogue qu'est le cinéma, véritable maladie, peut même conduire à la mort.
Khan gère admirablement le jeu d'imbrication d'une tragi-comédie dans laquelle la distinction entre la réalité et sa réécriture s'entremêlent continuellement. Parce que la vie c'est le cinéma et pour certains le cinéma c'est la vie. Tous les acteurs sont extraordinairement soudés, à commencer par Denis Podalydès dans le rôle de Simon et Da Xavier Beauvois dans celui du producteur maladroit. Khan s'entoure d'amis et de collègues réalisateurs, de Valérie Donzelli à Emmanuelle Bercot, Thomas Silberstein et ce qui précède Beauvoisà qui il confie des rôles d'acteur, dans un jeu de rôle qui ajoute du plaisir au film, surtout pour ceux qui les connaissent dans d'autres rôles. A la fin, il semble nous dire Réalisation detout le monde est important pour le succès d'un film, et quel que soit le nombre de morts au combat, cela vaut toujours la peine de continuer à se battre, car on ne peut tout simplement pas se passer du cinéma.