Le film que les Cahiers du cinéma ont élu meilleur de 2024 arrive au cinéma, dans lequel le réalisateur français mélange les références et les genres de manière sournoise et surprenante. La critique de L'Homme dans les bois de Federico Gironi.
C'est un peu le Théorème De Guiraudieet de nos jours, ceci L'homme dans les boisun titre italien attaché un peu au hasard et un peu incorrectement à un film qui sonne bien dans sa version originale Miséricorde.
Guiraudie, c'est un peu Pasolini donc, mais sans l'iconoclasme anti-bourgeois, et sans tensions mystiques. En plus, beaucoup d'humour sardonique, également noir. C'est peut-être pour ça que ça me l'a rappelé aussi La conspiration des innocentsainsi que – Il va sans dire – certains cinémas de Claude Chabrol.
Jérémie rentre chez lui, dans un petit village de montagne près de Toulouse, et il se passe toutes sortes de choses. A l'occasion des funérailles (d'un boulanger dont Jérémie s'avère être amoureux), il profite de l'hospitalité et se place chez la veuve. Avec le fils du mort, ami d'enfance, commencent immédiatement des escarmouches physiques, en partie ludiques et en partie non, qui cachent une nette tension homoérotique. Et puis Jérémie taquine, délibérément ou indirectement, un autre vieil ami et même le curé du quartier.
En rond, quelqu'un meurt et est enterré dans les bois. Dans les bois où tout le monde, y compris Jérémie, va cultiver des champignons : ils cherchent des cèpes, ils trouvent des morilles. Des morilles qui poussent juste à côté du cadavre fraîchement enterré, et qui finiront sur la table de ces personnages.
Sur le papier, tout peut paraître linéaire, voire simple, voire évident. Vaguement théâtral, avec ces quatre ou cinq personnages qui tournent toujours les uns autour des autres, et qui semblent être des figures si typiques (ou archétypales). Juste ça Guiraudie est un metteur en scène très non linéaire, et au sein d'une structure visuellement presque naturaliste, il fait bouger des personnages capables de déplacements clairs et de décisions surprenantes, sans jamais vouloir étonner, mais seulement montrer. Et même un peu de taquinerie.
Le cadre rural permet d’aller droit au but, d’arriver sur la scène déjà dépouillée de bien des superstructures : ce qui reste à enlever, froisser, subvertir, c'est le bon sens de la (présumée) morale. Sans fanfare ni gestes théâtraux : juste avec la progression naturelle des choses, du désir, de l'existence. De la vie et même de la mort.
Guiraudie il semble toujours dire, et faire réfléchir ses personnages, « oups, c'est comme ça que ça s'est passé ». Il semble démonter pièce par pièce la grandeur architecturale du drame moral pour arriver à une simplicité sans fioritures, clownesque et pointue. Sans arrogance, sans se mettre au fauteuil, mais avec beaucoup de légèreté et un humour dérouté et moqueur.
Jérémie, presque un Ripley malgré elleva vers une sorte d’absolution miraculeuse et miséricordieuse, au nom de l’amour. La vie et le désir continuent comme toujours, quels que soient les trébuchements et les difficultés.
Le cinéma se dépouille de toute prétention formelle, de toute ostentation verbale, pour se mouvoir librement, faire et raconter ce qu'il veut, défiant le chaos. Libre aussi de raconter une histoire qui semble peut-être rester ouverte, qui se perd dans les ruisseaux, mais qui est absorbée par un terrain qui devient fertile, pour demain, de ce qui reste des personnages, des événements, de leur liberté sans précédent.