Revue Maigret

Réalisée par Patrice Leconte, bien plus qu’un solide artisan, et librement inspirée du roman « Maigret et la morte » paru en Italie chez Adelphi, cette nouvelle cinématique est surprenante et fascinante. Grâce à un immense Depardieu, mais pas que.

Comme c’est étrange, comme c’est différent, le Maigret de Depardieu et Leconte.
Quelle mélancolie, fatigue, tristesse. Gris.
Un Maigret à certains égards presque méconnaissable. Inappétissant, d’une part. On lui enlève sa pipe au début du film, pour des raisons médicales, et il ne proteste même pas. Continuer à boire, oui, heureusement : « cette caisse a commencé par du blanc et se termine par du blanc. Il y a des caisses de calvados, d’autres de bière, c’est une caisse de blanche », raconte-t-il à un moment donné à l’un de ses inspecteurs. lui une bière froide.
Et pourtant, bien que si différent, Maigret est toujours Maigret : dans ses manières, dans son intelligence, dans son humanité.

Levons tout de suite tout malentendu possible : avec « Maigret et la fille morte »le roman de Simenon publié par Adelphi qui Patrice Leconte et son co-scénariste (et dialoguiste !) Jérôme Tonnerre ils s’en sont inspirés Maigret ça n’a pas grand chose à faire. L’intrigue – celle qui voit le commissaire enquêter sur la mort d’une fille sans nom retrouvée dans la rue – est prise comme point de départ de diverses sortes de déviations, et les personnages sont différents ainsi que les résultats des enquêtes.
Mais cela n’a pas d’importance. Il importe que l’identité de Maigret, avec toutes les différences du cas, e Les ambiances de Simenon sont ici reproduites et respectées, sans jamais oublier les besoins d’autonomie du cinéma et des auteurs de cette nouvelle histoire.

Comme c’est magnifiquement automnal, comme c’est volumineux Maigret de Gérard Depardieuqui tombe dans le rôle avec une grâce qui se heurte presque au physique massif, qui devient encore plus mélancolique devant cette jeune femme sans nom trouvée sur le trottoir, et une fille comme elle, comme tant d’autres, comme sa fille, sa , qui n’est plus là, et qui ne revient que dans de discrets échos de rires d’enfant.
Maigret – ce Maigret, tout le Maigret – ne juge pas, ne condamne pas, n’est pas un bourreau ni un moraliste. Maigret se déplace avec précaution, essayant de déplacer le moins d’air possible, créant le moins de perturbations possible, implacable dans les questions mais tolérant dans les réponses. Parce qu’il connaît bien l’homme et sa faillibilité, la douleur qui se cache dans l’âme humaine, et qui explose ici silencieusement dans la confrontation avec un vieux juif lituanien qui a échappé à la guerre et aux camps. Il l’a fait, mais pas sa fille. Même lui.

L’éléphant Maigret évolue dans la verrerie de la fragilité humaine, avec l’élégance et l’équilibre d’un danseur, bien soucieux de ne pas faire plus de dégâts que strictement nécessaire, car il sait très bien combien il est difficile de recoller les morceaux quand on s’effondre . Et puis, en plus de ne pas faire de dégâts, Maigret répare. Comme vous le savez, comment peut, en remettant le chemin du retour, la seule fille qu’il a pu protéger, réparer, sauver. Avec les manières abruptes et silencieuses des pères du passé.

À la fin du film, di ce beau film qui a, lui aussi, les voies et les temps du passé, Maigret semble s’exciter un peu, reprend sa pipe dans sa bouche, laisse même entrevoir quelques sourires. Parce qu’il résout son affaire, certes, mais parce qu’il a réussi ce qui était le plus important pour lui : faire le bien. Être père à sa manière.
Et la façon dont, dans le final, et dans la démarche lente, fatiguée et lourde mais tout aussi sereine et gracieuse de Depardieule soulagement pour cette mission accomplie est mitigé, et l’amertume pour ce qui dans la vie ne peut jamais être fixé, n’est pas une mince affaire.