Bien plus, et bien au-delà d’une simple (mais parfois géniale et hilarante) parodie de Star Wars ou de Dune, ce nouveau film fou et intelligent de Bruno Dumont s’appuie sur la coprésence des contraires pour poursuivre l’enquête du Français sur la nature humaine. La critique de L’Empire de Federico Gironi.
Nous y sommes encore, sur la Côte d’Opale, dans les quartiers du P’tit Quinquin. Ce n’est pas un hasard si deux vieilles connaissances se retrouvent : les policiers hilarants Van der Weyden Et Charpentier. Ils se retrouvent lors d’un accident de voiture dans lequel la mère d’un enfant très blond aux yeux très bleus meurt, décapitée. Et puis encore lorsque ce même enfant est mystérieusement kidnappé.
Des choses étranges se produisent autour de cet enfant, car ce n’est pas n’importe quel enfant. C’est une sorte d’élu, une bête de l’Apocalypse.
Le fait est que là, sur la Côte d’Opale, entre vaches et chevaux, mer et champs, bateaux de pêche et tracteurs, moules et coquilles Saint-Jacques, fermes et dunes de sable, se livre la bataille suprême et finale entre le Bien et le Mal. Ou plutôt : entre les Uns et les Zéros, opposant des races extraterrestres, luttant pour la conquête de l’âme humaine et de la Terre entière.
Beaucoup de ceux qui habitent ces lieux sont en réalité des extraterrestres. Zero et Uno qui se sont emparés des corps humains, et qui vivent un quotidien lent dans un climat de guerre froide, en attendant que la vraie éclate. Il y a par exemple Rudy et Line parmi les Zero. Parmi eux, Jane et Rudy.
Il devrait déjà être évident que Empire est un film basé sur la coexistence – complexe, difficile, pleine de frictions – des contraires. Sur des dualismes clairs et évidents. Toujours fasciné, depuis L’âge agitédu mélange complexe entre le bien et le mal dans les instincts et l’âme humaine, Bruno Dumont ici, il parle aussi de hommes et femmes, bien et mal, amour et sexe, naturalisme et spectaculaire, cinéma d’auteur et blockbusters. Acteurs professionnels et non professionnels.
Les scènes tournées dans le village d’Audresselles, où se déroule le film, contrastent avec celles qu’elles montrent palais galactiques (de Caserte) et cathédrales gothiques interstellaires (la Saint-Chapelle)qui seraient alors respectivement les vaisseaux spatiaux mères des Zéros et des Uns, fabuleuses intuitions d’un film qui, en plus de tout le reste, crée une parodie parfois irrésistible des sagas grandiloquentes de science-fiction.
Depuis Guerres des étoilescertes, mais aussi récemment Dunes Version Villeneuve.
Tandis que les notes parfaites de Bachou de la musique mélodique, tandis que Van der Weyden exhibe ses tics, et Fabrice Luchini et Camille Cottin Des versions démentes et clownesques d’eux-mêmes qu’aucun acteur italien n’aurait probablement le cœur et le cran de mettre en scène, Bruno Dumont continue de parler de choses qui l’ont toujours intéressé.
Avec son cinéma capable d’explorer les paysages des visages humains ainsi que les expressions de la nature et de l’architecture, le Français interroge le mystère de la vie, l’âme humaine, l’attirance sexuelle et l’amour.
Jony, qui n’est pas seulement le Chevalier Noir et pêcheur des Zéros, mais aussi le père de l’Élu, est accompagné de la très sensuelle Lina, mais est aussi irrésistiblement attiré, en retour, par Jane, princesse des Uns.
Il ne s’agit peut-être pas seulement de relations sexuelles entre eux, et leur rencontre entraînera des conséquences imprévisibles.
Dumont a réalisé un film fou, hébété, inédit et, à sa manière, très complexe et intelligent.
Ne trouve pas l’humour irrésistible de P’tit Quinquin, mais peut-être qu’il ne le voulait même pas. Derrière chaque bizarrerie, chaque élément loufoque, chaque visage tordu et hébété, il y a toujours une forme de sérieux, voire une ombre de gravité. Même en cela, le Français recherchait la coprésence des contraires.
Il y a du génie dans L’Empire. Il y a un visionnaire unique et personnel, si particulier qu’il laisse souvent sans voix. Incapable de comprendre, d’identifier, dans ce chaos tranquille de suggestions, de citations, de significations, où devrait être placé le jugement de notre goût.
Et pour cette raison aussi, en plus du reste, le film de Dumont est un film à ne pas sous-estimer du tout.